Adieu, vive clarté – Jorge Semprun

Par Lediazec

La relecture est un refuge à l’éclairage certain, dont nul ne doit se passer. Par ces temps criminels, il est plus que jamais nécessaire d’y consacrer temps et énergie.

Ébloui par les dieux, l’homme est cet être amputé, sillonnant le jardin d’Éden, mendiant la part de divinité qui le rendra invulnérable. Ayant fait de l’arrogance son plat de résistance, il pèche souvent par boulimie.

Le livre est un combat que l’auteur voudrait définitif contre la poussière du temps. Il est la marque d’une utopie et la plaie jamais cicatrisée d’un doute permanent.

Quand un coup d’État militaire se transforme en guerre civile, la pitié n’est pas le sentiment le plus répandu. Nous sommes en Espagne en l’année 1936. Au terme de trois longues années de guerre fratricide, celle-ci se finit par la victoire des félons.

Au bout, il y a la douleur, les morts qu’on pleure, mais aussi toutes les valeurs d’une culture démocratique qu’on efface avant même son épanouissement. Ce fut pour le pays de Miguel de Cervantès et de Garcia Lorca la longue nuit des tricornes.

Quarante ans ce n’est pas rien. Pour ceux qui avaient eu la « chance » d’y échapper, ce fut l’exil, les camps de « rétention », la Seconde Guerre mondiale, la résistance au nazisme, le maquis, la mort ou la déportation, souvent les deux. Quant aux survivants…

Une Seconde Guerre mondiale qui se « finit » par la « victoire » des armées alliées sur le nazisme, sans que la coalition ne bouge le petit doigt afin de débarrasser l’Europe des deux champignons vénéneux ibériques : Franco en Espagne et Salazar au Portugal…

Cela arrangeait qui le maintien de ces fortifications du mal ancrées sur l’Atlantique et la Méditerranée ? La réponse ne se trouve-t-elle pas dans la question ?

Dans « Adieu, vive clarté », sous la forme d’un récit de « la découverte de l’adolescence et de l’exil, des mystères de Paris, du monde, de la féminité… », Jorge Semprun écrit sur cette douleur qui, de « Quel beau dimanche », à « Autobiographie de Federico Sanchez », fait de la disparition des héros son propre suicide politique, avec pour fil rouge l’aveuglement militant.

Une blessure intime qui s’égrène au fil des pages offrant en partage impressions et sentiments sur les morts et les vivants. On y croise Hugo, dans un truculent retour à l’envoyeur, Arletty, dont l’auteur connaît toutes les répliques, Baudelaire, Rimbaud, et Paris, ce Paris unique qui n’appartient qu’à celui qui l’arpente.

Issu d’une famille de la grande bourgeoisie espagnole, fidèle aux valeurs de la très faiblarde république (nul n’est parfait), Jorge Semprun n’était pas, comme ses origines sociales pouvaient le laisser supposer, un énième avatar de sa classe, mais un homme libre engagé dans l’histoire de son époque, avec toute la passion de son âme.

Homme de culture et homme d’action, l’un ne pouvant se passer de l’autre, il allait au bout de ses engagements avec la seule arme possible, quel qu’en soit le contexte : son intégrité d’homme libre. Antifasciste, il a été de toutes les luttes, d’abord en tant que résistant au nazisme, puis comme militant communiste clandestin contre le régime franquiste. Mais c’est toujours en homme libre qu’il agissait, ce qui lui valut d’être exclu du PC de Santiago Carrillo en raison de « divergence de point de vue avec la ligne du Parti » en 1964.

Plus tard, alors qu’il est devenu ministre de la Culture sous le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez, en conflit ouvert avec le numéro 2 du PS, Alfonso Guerra, il claque la porte parce que Félipe Gonzalez avait couvert des pratiques douteuses d’Alfonso Guerra. Voilà pour l’homme.

« Adieu, vive clarté » est un livre dans lequel, l’apprentissage du français, après celui de l’allemand, passe par la poésie et par l’écriture. Alors qu’il avait « honte » de cet accent (merveilleux, j’en étais jaloux) qu’il avait quand il parlait le français, parce que, considérait-il, à tort, que le français était une langue faite pour être écrite !

A le lire, on se surprendrait presque à lui donner raison. Une écriture limpide, fluide et… sans autre accent que celui de l’émotion vous soulevant l’épiderme par sa poésie et, par sa très vive clarté !

Un livre – il n’est pas le seul – où l’on découvre que le passé n’est que l’ombre du présent. Suivez mon regard.

Sous l’Casque d’Erby 

Volti

Un Commentaire

  1. « le français était une langue faite pour être écrite ! »
    Il a de la chance, le monsieur, que jean-Baptiste Poquelin et Pierre-Augustin de Beaumarchais ne traînent pas dans le coin : ils auraient pu lui coller “un jufle”, comme disait mon gamin quand il était petit.Sans compter Edmond Rostand :
    https://youtu.be/aCDPgFFjxmU
    MODÉRATION
    Merci de ne pas mettre le code iframe des vidéos

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