Mektoub. De l’obsessionnelle volonté de contrôle au nécessaire lâcher-prise

Après “Apartheid. Une double origine et deux destinées“, Zénon nous fait l’amitié de partager “Mektoub. De l’obsessionnelle volonté de contrôle au nécessaire lâcher-prise“.

Par Zénon

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Le déclin avait commencé sans crier gare par une matinée ensoleillée de septembre 2001. Ivre
de son sentiment de toute puissance et d’impunité, faute d’ennemi susceptible de justifier son
régime d’exception sur la scène internationale, l’Empire avait perpétré sur son propre sol les
attentats que l’on sait, comme un mannequin vieillissant s’automutilant pour toucher la prime
d’assurance. Il en résulta deux décennies de représailles aveugles, d’abus de toutes sortes et de
renversements de dirigeants non-alignés au projet de dissolution des nations sous la férule d’un
ordre mondial hégémonique et unipolaire.

À cette folie guerrière était couplée l’émission illimitée d’argent-dette, censée garantir la fidélité
de ses détenteurs aux intérêts impériaux au nom de l’étrange concept du droit extraterritorial.
Pour la première fois dans l’Histoire, une monnaie adossée à une simple promesse octroyait à
son émetteur le pouvoir de dicter leur politique économique aux autres pays. Il fallait accepter
les termes du contrat ou se voir banni des plateformes de transactions internationales. Le Père
Ubu attablé seul devant son festin, beuglant des ordres ineptes à des cohortes de serviteurs pour
seuls convives, illustrerait assez bien la géopolitique de ce début de vingt-et-unième siècle.
 
Une certaine fébrilité couvait cependant sous les dehors de ce règne absolu. Les investissements
militaires à n’en plus finir avaient une certaine tendance à grossir les portefeuilles des comptes
offshore, tandis que les soldats rencontraient sur le terrain toutes les peines du monde à monter
la garde autour des drapeaux plantés à la va-vite au cœur de nouveaux déserts radioactifs. Quant
à la cohésion sociale des ressortissants de l’Empire, celle-ci était laborieusement entretenue à
coups de propagande Hollywoodienne et de bien-pensance, trop grossières toutefois pour que
quelques sceptiques n’y soupçonnent pas l’ombre d’une tentation totalitaire.
 
Les fissures étaient à ce stade insoupçonnables. Les magnats de la Silicon-Valley promettaient un
avenir dans lequel les moindres faits et gestes du cheptel humain seraient anticipés, tracés et
contrôlés – pour le bonheur du plus grand nombre et l’assouvissement du rêve de quelques-uns.
Ces champions de l’ingénierie sociale œuvraient à bannir du vocabulaire et de la pensée de leurs
ouailles tout semblant de « haine », toute expression d’opinion à-même de mettre à mal le sacro-
saint consensus progressiste, eco-responsable et humanitaire.
 
Ce concert d’intentions louables ne pouvait soupçonner l’ingratitude d’une frange grandissante
de cette population réfractaire et sourde au plus élémentaire bon-sens, ni l’incompréhensible
désir de souveraineté de nations ayant pourtant par le passé déjà goûté aux joies du libéralisme.
Il fallut intensifier la pression sur les esprits et sur les corps. Remobiliser les troupes autour d’un
ennemi pernicieux, invisible et omniprésent, offrant le prétexte au plus formidable déploiement
publicitaire et biopolitique de l’histoire Humaine. C’est ainsi que l’opération « covid » fut lancée.
 
Si spectaculaire que fut son développement, une dissonance ne tarda pas à se faire jour entre le
narratif de peur uniformément répercuté sur toutes les ondes, la disproportion des moyens
employés pour endiguer l’épidémie et la mortalité réelle du terrible fléau annoncé. Très vite, la
mise en œuvre d’un agenda politico-économique, dont le volet sanitaire n’était qu’un prétexte,
apparut comme le véritable enjeu de cette « crise ». Il s’agissait en réalité de passer d’un système
de prédation basé sur des bulles spéculatives à un mode de gouvernance financière oligarchique
entièrement numérique et centralisé : le programme du « grand reset » du forum de Davos. Nous
étions conduits vers une démolition contrôlée de nos modes de vie.

 
Sur ces entrefaites survint cet hiver l’opération militaire russe en Ukraine, visant à mettre un
terme à la guerre entamée en 2014, suite au coup d’État du Maïdan, par le gouvernement de Kiev
envers les provinces séparatistes du Donbass. Cette année 2014 fut au passage celle au cours de
laquelle Christine Lagarde, alors présidente du FMI, prophétisa l’avènement prochain du fameux
« reset » économique à l’échelle mondiale. L’intervention russe consistait en priorité à protéger
les populations russophones de Lougansk et de Donetsk, mais aussi à stopper les velléités
guerrières de l’OTAN à ses frontières. La réponse de l’Occident à cette surprise géopolitique fut
un soutien logistique et financier sans faille à sa marionnette ukrainienne, ainsi qu’une pluie de
sanctions censées affaiblir l’économie russe et isoler le pays sur la scène internationale.
 
Comme on le sait, en pratique, ce fut exactement le contraire qui se produisit. Lesdites sanctions
conduisirent la Russie à renforcer ses partenariats eurasiatiques, à exiger le paiement en roubles
de ses exportations de gaz et de pétrole, à intégrer davantage d’alliés dans la sphère d’influence
des BRICS, et à prendre à leur propre piège économique les pays déclarés hostiles, en particulier
ceux d’une Union Européenne sacrifiée sur l’autel des desiderata états-uniens. C’est ainsi que la
lente euthanasie occidentale entamée depuis l’épisode covid s’est muée en suicide collectif à la
vitesse d’une chute libre depuis la falaise de Sénèque.
 
Tandis que la lumière décline et que le crépuscule tombe autour de lui, l’Occident imprégné de
son sentiment d’infaillibilité ignore tous les signaux de sa débâcle prochaine. C’est à peine si
l’inflation galopante commence à faire se murmurer quelques doutes sous les chaumières. Est-il
possible que nous manquions de chauffage à l’automne ? Que nous soyons bientôt rationnés sur
l’essence ou les biens de première nécessité ? Se pourrait-il que tout ce que nous ayons jusque-là
connu soit voué à finir ? Que nos dirigeants ne veillent pas tant à nos intérêts qu’aux leurs ?
Quelques lézardes commencent à se creuser dans les certitudes de notre inconscient collectif.
Les plus avisés osent regarder en face l’obsolescence de notre ancien cadre de référence, mais le
gros des troupes contemple encore comme une chimère la sombre silhouette en approche de
notre effondrement.
 
Au contraire des formes brutales de tyrannie, l’accroissement du pouvoir étatico-marchand sur
les peuples des nations « démocratiques » a été rendu possible par l’infantilisation croissante
des individus, jusqu’à rendre ces derniers dépendants d’une autorité dans les moindres aspects
de leur vie quotidienne. On a vu se développer la police, puis la banque, les assurances, la
« sécurité sociale » comme d’indéniables progrès, sources de confort et de sécurité, sans voir le
vice. Puis la technologie nous a facilité la tâche au point de nous endormir, d’ériger la passivité
en vertu et la science en religion. Jusqu’à nous enchaîner littéralement, nous contraindre à
l’avilissement de prouver notre humanité à des robots pour jouir de l’accès à des services pour
lesquels nous cotisons – et qui en pratique n’existent plus. Tout ceci n’aurait pas été rendu
possible sans un long et méthodique travail de domestication des esprits dont il est devenu
impératif de nous défaire pour espérer avoir une petite chance de survivre aux temps à venir.
 
Tout l’art de ce dressage a consisté à développer un mécanisme de conditionnement déguisé en
« éducation » et visant à produire des générations de faux adultes. Il suffisait pour cela de faire
passer la simple reproduction des modèles établis pour une marque d’intelligence, l’obéissance
aveugle à des règles inexpliquées pour de la responsabilité, ou encore l’irrépressible besoin de
se conformer à l’opinion majoritaire comme une preuve de bonne intégration à la société. Pour
que ce schéma se perpétue sans rencontrer de réelle remise en cause, il était nécessaire de
mettre en œuvre un système de récompenses à l’égard des individus les plus disciplinés, ou de
punitions contre les empêcheurs de tourner en rond et les créatifs. C’est ainsi que s’est instaurée
toute la hiérarchie sociale que nous connaissons, depuis les bancs de l’école jusqu’en entreprise
et de l’échelon le plus bas du sous-prolétariat jusqu’aux plus hautes fonctions administratives.
 

S’ensuit une condition psychologique de dépendance envers l’autorité empêchant, toute leur vie
durant, les individus de prendre la mesure de leur propre pouvoir et de choisir la voie, certes
périlleuse mais ô combien plus riche, de la liberté. J’entendais au début de l’été deux adolescents
discuter sur un banc, et l’un déclarer à l’autre d’un ton résigné : « c’est Parcoursup qui va décider
de mon avenir ». Voilà où nous ont conduits plusieurs siècles de renoncement progressif à notre
autodétermination. N’est-ce pas d’une tristesse infinie ?
 
Nous nous trouvons ici, depuis longtemps de manière subreptice et de façon flagrante depuis
l’épisode du covid, dans la situation d’enfants confrontés à une autorité maltraitante. Dans la
plupart des cas, la conscience des abus commis sera refoulée, l’individualité-même des victimes
s’autocensurera face à la violence et la sidération qu’implique un tel constat. D’aucuns iront
jusqu’à défendre bec et ongles leurs tortionnaires pour préserver leur statut d’enfants et ne pas
avoir à se prendre en charge. Il arrive pourtant au contraire que des jeunes battus ou abusés se
rebiffent, et développent une acuité de perception de loin supérieure à celle de la moyenne de
leur âge. La violence subie devient alors le terreau fertile à l’indépendance d’esprit, prélude à la
révolte, à la libération puis à l’épanouissement dans un nouveau paradigme.
 
Le problème qui nous occupe est qu’une immense majorité de nos contemporains soit encore
persuadée de compter parmi la population adulte. Les principales caractéristiques mentales de
ces personnes sont la certitude d’avoir raison en tout, celle de ne pas pouvoir être dupe de quoi
ou de qui que ce soit, ainsi qu’un attachement maladif à tout ce qui peut conforter leur système
de croyances. De là découle une inexpugnable résistance au moindre changement, nous plaçant
tous devant la perspective d’un chaos complet lorsque s’évanouira pour eux la mythologie d’un
environnement sain et sécurisé. Aussi devient-il nécessaire de se préparer à accompagner notre
entourage – proche ou inconnu, cela revient au même – sur le chemin du deuil de l’ancien monde.
Aucune préparation matérielle ni aucun ermitage ne nous permettra de faire l’économie de ce
travail. Nous sommes qu’on le veuille ou non dans le même bateau quel que soit notre niveau de
conscience.
 
Il est inutile pour ce faire de discourir ou de nous lancer dans de laborieuses théories. Le lâcher-
prise est un savoir-être davantage qu’un quelconque savoir-faire. Il se perçoit dans la gestuelle,
dans le rythme du souffle, dans le regard. Il ne se paie pas de mots mais s’offre comme énergie
communicative. C’est une roue, un saut périlleux, un mouvement circulaire de jeu avec l’espace
et la gravité. Une facétie qui prête à sourire mais offre un parfait exemple de liberté de l’âme.
C’est une vibration qui vient remuer le souvenir commun à tous de l’adaptation, de la souplesse,
de l’intuition et de la spontanéité de l’enfance. Un trésor dont on fait cadeau au premier venu et
qui nous revient sous la forme d’une obole céleste.
 
L’enjeu de l’époque qui s’ouvre à nous est le souvenir. Non la mémoire d’un évènement qui nous
a jadis concerné, mais au contraire les retrouvailles avec le sans-forme, les affinités naturelles de
la cour de récréation, l’instinct à l’état pur, antérieur à la pensée. Mais aussi la cessation de tout
jugement, de toute référence au cadre connu pour apprécier chaque chose dans toute sa richesse
et sa singularité. Ce n’est qu’ainsi que peut naître en chacun de nous le véritable adulte : celui qui
ne censure ni ne brime plus, mais prend sa propre enfance par la main pour marcher à ses côtés.
La maturité n’est pas une position mais un équilibre. Elle est la découverte de ce que nous avions
toujours été sans en avoir conscience, et l’acceptation de chaque dimension de l’Être avec sa part
d’ombre comme de lumière.
 
Nous nous apprêtons à quitter les sentiers balisés d’une vie sans heurt ni surprise, sans occasion
de nous rencontrer hors des cadres préétablis, sans opportunité de se retrouver réellement face
à soi-même. Et ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Les projets concoctés par l’oligarchie pour
nous imposer une existence uniforme et fade à base de « sobriété heureuse » ne réussiront qu’à
détruire les vieilles structures de gouvernance, sans parvenir à générer quoi que ce soit d’autre

qu’un ingérable chaos, bien éloigné de leur fantasme de grille de contrôle technologique. Passée
l’appréhension de nager pour la première fois sans avoir pied, nous retrouverons la capacité de
nous mouvoir librement, sans tuteur ni bouée gonflable. Et chaque instant passé dans les eaux
vives nous gratifiera d’une confiance nouvelle en notre capacité d’évoluer dans le grand courant
de l’existence.
 
Ainsi affranchis de toute idée préconçue et de toute emprise, nous constaterons avec joie que
l’Univers orchestre chaque chose de façon plus juste et plus harmonieuse que ne l’aurait jamais
permis notre pauvre intellect. Les signes se multiplieront à nos yeux. Le sort nous deviendra de
plus en plus favorable. Nous comprendrons alors que la véritable liberté ne consiste pas à faire
ce qu’on veut ou croit vouloir, mais à décider de notre plein gré de vivre et d’agir selon les lois
naturelles. Nous vivrons en accord avec notre plus intime vérité. Définitivement passés de la foi
en la prédictibilité du sort aux mains d’un système à la certitude du parfait ordonnancement de
la Vie. Notre transmutation mentale aura été accomplie.

Zénon – Juillet 2022

Volti

Un Commentaire

  1. Salut les moutons,
    dur de laisser un commentaire après avoir lu un texte d’une telle force…
    J’ai pleuré, c’est simplement lumineux et très juste…
    MERCI

    phool ki kali

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