SIPRI: la France a franchi la ligne rouge

Source Observateur-Continental

L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) publie son traditionnel Annuaire pour 2020. Il s’agit d’un important document analytique qui attire l’attention du monde entier et présente une combinaison de données dans des domaines tels que les dépenses militaires mondiales, les transferts internationaux d’armes, la production d’armes, les forces nucléaires, les conflits armés mondiaux et les opérations de maintien de la paix, contribuant, en fait, en partie à la croissance de ce marché des armes et les dépenses militaires.

En un mot, si vous voulez la paix, préparez la guerre. Les cinq premiers exportateurs vous donneront une compréhension claire de nombreux processus politiques et une explication des événements importants de la politique mondiale (y compris, par exemple, pourquoi la France, une heure avant l’annonce internationale de l’accord, a perdu son contrat record pour la construction de sous-marins pour l’Australie pour 66 milliards de dollars).

Une dizaine d’importateurs et une modification des rotations en son sein donneront une idée des conflits mondiaux à venir et de leur géographie. Ainsi, l’Arabie saoudite est devenue le numéro un dans la liste des importateurs d’armes pour 2016-2020, dépassant l’Inde. La danse du sabre du président, Donald Trump, avec le secrétaire d’Etat américain, RexTillerson en 2017 à Riyad était sans doute la danse la plus rentable de l’histoire avec un contrat d’armement de 110 milliards de dollars et des contrats de défense de 350 milliards de dollars au cours des dix prochaines années.

N’oublions pas la «menace iranienne», qui a fait cauchemarder les infrastructures pétrolières de l’Arabie saoudite, ayant permis au complexe militaro-industriel américain peut-être le plus avantageux contrat de l’histoire moderne. Les Saoudiens, comme d’autres monarchies de le golfe Persique, ont investi dans une police d’assurance militaire américaine.

Par conséquent, en revenant une seconde sur l’accord nucléaire iranien et les négociations d’aujourd’hui à Vienne: l’Iran n’a-t-il pas mérité les encouragements des Etats-Unis pour avoir contribué à faire pression sur les intérêts du complexe militaro-industriel américain sous la forme d’une levée des sanctions et permettant la vente de son pétrole? On le verra bientôt.

Retour à la liste de l’Institut de Stockholm pour la recherche sur la paix. Quatre des dix principaux importateurs se trouvent au Moyen-Orient, en dehors de l’Arabie saoudite. Il s’agit de l’Egypte, du Qatar et des Emirats arabes unis (EAU). L’Egypte, au cours des cinq dernières années, a dépassé les Emirats arabes unis dans l’achat d’armes. Les importations d’armes par les pays du Moyen-Orient au cours du quinquennat 2016-2020 ont augmenté de 25 % par rapport à la période précédente de 2011-2015.

Mais dans l’ensemble, la croissance des importations d’armes s’est déplacée du Moyen-Orient (33%) vers l’Asie et l’Océanie (42%). Le contrat le plus cher (après l’accord Etats-Unis/Arabie saoudite) semble appartenir à l’Australie: 12 sous-marins nucléaires devraient apparaître dans son arsenal dans les dix prochaines années. L’Australie, après avoir rompu le contrat avec la France, les construira elle-même, mais avec l’aide des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Cela laisse supposer qu’une grave confrontation militaire entre les Etats-Unis et la Chine est toujours une réalité pour les dix prochaines années. L’alliance stratégique militaire AUKUS (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis), dont la création a été soudainement annoncée en septembre de cette année, se prépare évidemment à de graves événements dans la zone indopacifique.

Pas aujourd’hui, mais «après-demain», on peut aussi supposer assister à une aggravation du conflit militaire entre l’Inde et le Pakistan, avec une possible implication de la Chine dans celui-ci. Nous parlons de la région du Jammu-et-Cachemire où les intérêts des trois puissances mentionnées sont liés. Il sera curieux de savoir si la Chine est entraînée dans un conflit militaire des deux côtés.

Pourquoi? Dans la région sud-asiatique, l’Inde et le Pakistan sont devenus les principaux acheteurs d’armes. Le plus grand fournisseur d’armes de l’Inde au cours de la période 2011-2015, ainsi qu’en 2016-2020, était et reste la Russie. Bien que les importations indiennes aient baissé de 33 %, l’évolution des principaux fournisseurs d’armes à Delhi est intéressante: la France arrive deuxième après la Russie, Israël troisième et les Etats-Unis quatrième. Les avions de combat et les missiles représentaient plus de 50 % de toutes les importations d’armes en Inde. Les importations d’armes de la France vers l’Inde sur la période 2016-2020 ont augmenté de 709%. 

Par ailleurs, selon le même rapport annuel du SIPRI pour 2019, les exportations d’armes américaines vers l’Asie et la région Océanie ont diminué de 20 %: les Américains ont commencé à perdre du terrain sur les marchés de l’Inde, du Pakistan, de Singapour, de la Corée du Sud et de Taïwan. Mais les besoins en armes du rival de l’Inde, le Pakistan, sont presque entièrement fournis par la Chine (74% en 2016-2020). «Comme l’Inde, son principal rival régional, le Pakistan, a plusieurs commandes  de grande taille en cours d’armes. Il devrait être livré d’ici 2028 et comprend 50 avions de combat JF-17, huit sous-marins de type 041, quatre frégates du projet 054A de Chine et quatre frégates MILGEM de Turquie. «Les navires commandés représentent une expansion significative des capacités navales du Pakistan dans l’histoire du pays», note l’Institut de Stockholm.

Déjà aujourd’hui, en 2021, on peut prédire où, comment et quand seront déployés les théâtres mondiaux d’opérations militaires. Sur terre, sur mer, dans les airs. Le rapport de force entre fabricants/vendeurs d’armes et acheteurs est inégal avec 164 acheteurs contre 65 vendeurs. Ce qui est pourtant tout à fait logique. Les premiers membres de la liste des exportateurs d’armes remercient tous ceux qui les ont aidés à réaliser des ventes en 2016-2020, c.-à-d. les initiateurs de conflits dans les régions à problèmes.

Mais qui est en tête du top 5 au cours des cinq dernières années? Les Etats-Unis, la Russie, la France, l’Allemagne et la Chine représentaient 76% de l’ensemble du marché mondial des armes. La Chine et la Russie ont légèrement perdu leurs positions, cédant le pas aux Etats-Unis, à l’Allemagne et à la France, dont les exportations ont augmenté par rapport à la période précédente. Soit dit en passant, à la fin de 2019, les exportations d’armes d’Israël ont augmenté de 77%, ce qui est un record pour le pays.

Le plus intéressant. La configuration des cinq principaux exportateurs d’armes s’inverse. Les Etats-Unis sont toujours en tête de liste, suivis de loin par la Russie, mais c’est la France qui a affiché la plus forte croissance des exportations d’armes parmi les cinq premiers. La France a, donc, franchi la ligne rouge. En 2019, les exportations d’armes de la Ve République ont augmenté de 72 %, ce qui en fait le troisième exportateur mondial.

Philippe Rosenthal 

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