La CNIL condamne les cookies de Google et Amazon, mais pas le fichage gouvernemental

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Par H16 pour Petites chroniques désabusées d’un pays en lente décomposition…

Ah, enfin, on a trouvé en France un moyen de faire rendre gorge aux zabominables GAFA : toute la puissance de la Commission Nationale Informatique Et Liberté vient de s’abattre sur ces entreprises technologiques maléfiques !

Certes, l’information, pourtant d’importance, n’a pas bénéficié de toute la couverture médiatique qu’il aurait fallu. Il faut dire qu’elle s’insérait dans une actualité fort chargée dans laquelle on apprenait aussi que les vaccins arrivent, qu’on allait relâcher quelque peu le confinement histoire de laisser le cheptel se papouiller un peu en famille afin de mieux le culpabiliser arrivé Janvier et un peu plus discrètement, que Macron sous-entendait vaguement que la situation du pays ne permettrait probablement pas du tout la tenue d’élections présidentielles sereines en 2022.

Devant ces éléments lourds de conséquence qui excitent l’appétit journalistique, on comprend dès lors la discrétion de la presse devant la victoire pourtant décisive de la CNIL contre Amazon et Google.

Et quelle victoire ! Comme le décrit avec brio un superbe monument de journalisme paru sur le Figaro, « La CNIL reste en pointe sur les sanctions infligées aux GAFA en Europe » : apparemment, il y aurait comme une espèce de course continentale à la sanction, un championnat européen de l’amende et un véritable concours occidental de l’emmerdement technologique que la France se fait forte de gagner haut la main (comme, du reste, toute compétition dans laquelle il s’agit de distribuer de la misère et des vexations, où elle tient absolument à défendre son rang aussi âprement que possible).

Cette fois-ci, la CNIL a trouvé un bel angle d’attaque : Amazon et Google ont eu l’impudence de déposer des petits cookies (des petits fichiers de données) chez leurs utilisateurs leur permettant de conserver quelques données sur eux et, accessoirement, de les tracer dans leurs déplacements sur internet. Or, déposer ainsi des petits fichiers de données sans leur accord préalable, voyez-vous, c’est absolument interdit et ça fera 35 millions d’euros d’amende pour Amazon.fr et 100 millions d’euros d’amende pour Google.fr, signez en bas et vous pouvez payer par virement voici le RIB du Trésor public, le contribuable vous remercie.

Dans son jugement, la CNIL explique que les deux sites n’ont pas produit de bandeaux suffisamment clairs pour que l’internaute sache à quoi servent ces fichus cookies du Diable et la façon dont il peut les refuser, sapristipopette, ce qui justifie donc une amende bien poivrée, non mais.

Rassurez-vous : cette sanction financière ne vient pas seule puisqu’elle s’accompagne d’une mise en demeure pour ces deux sites de corriger leurs pratiques scandaleuses dans les trois mois.

Et alors que les petits euros de Google et d’Amazon vont donc se déplacer des comptes de ces grosses entreprises dodues vers les maigres caisses de l’Etat français, on entend déjà le soupir de satisfaction des institutions devant ces amendes. Pensez donc ! Il s’agit à ce jour de la plus forte amende prononcée par une autorité de protection des données en Europe, et c’est Français, ça, môssieur !

À présent, on ne pourra s’empêcher de s’interroger sur l’impact réel de cette sanction. D’une part, il ne faudrait pas oublier que les 135 millions d’euros que ces sociétés vont payer ne proviendront de nulle part ailleurs que de la poche de leurs clients, d’une façon ou d’une autre. La sanction financière d’une entreprise a sans doute un côté réjouissant pour certains (notamment ceux qui ne comprennent pas l’économie de base), mais comme elle ne concerne qu’assez rarement les avoirs directs des dirigeants et des actionnaires, l’impact en est toujours reporté sur le client, d’une façon ou d’une autre (et ce, jusqu’à la disparition de l’entreprise au besoin).

En outre, un autre impact ne semble pas avoir été pris en compte : puisqu’il est maintenant clair que ces entreprises vont devoir faire un effort supplémentaire assez substantiel pour expliquer à leurs clients qu’elles conservent des petits fichiers sur eux, on doit s’attendre à une nouvelle vague de bandeaux et autres affichages plus ou moins obstructifs de conditions générales d’utilisation sur ces sites puis tous ceux qui se sentiront concernés par ce récent jugement.

Or, si vous aimiez déjà tendrement la bordée de cases à cocher et autres fenêtres encombrantes concernant le RGPD, vous allez adorer la nouvelle mouture de messages de consentement compatibles avec la CNIL. Dans cette course au consentement européen et français, l’internaute va devenir un cliqueur compulsif sur le bouton « Je consens » ce qui a l’énorme avantage de décharger complètement les sociétés de toute responsabilité et, plus gênant, toute possibilité d’assainir les pratiques de navigation sur internet.

En somme, grâce au superbe travail frénétique des législateurs européens et français, ou bien l’internaute ne va plus nulle part, ou bien il coche « OK » mécaniquement sans plus aucune considération sur les données qu’il lâche alors au site visité : c’est l’exact opposé de ce qu’on cherchait à faire, à savoir protéger les données personnelles de l’internaute.

Mais au-delà de ces constatations à vrai dire fort embarrassantes pour nos législateurs compulsifs et si on se reconcentre sur la CNIL, on ne peut s’empêcher de noter aussi qu’elle n’a – semble-t-il – émis aucune sanction salée contre le fichage qui se met actuellement en place à l’échelle du pays avec l’application dédiée au traçage des contacts contaminés par le coronavirus. Il est vrai que la médiocrité de cette application met assez facilement l’utilisateur à l’abri de toute utilisation malencontreuse du produit, ce dernier ne tombant en marche qu’assez rarement.

Mais de la même façon, la CNIL ne semble pas trop s’émouvoir non plus des récents changements par décret sur les fichages de la population par la police et la gendarmerie, fichage qui s’étendent maintenant aux opinions politiques, syndicales, philosophiques et religieuses, ce qui, dans un pays harpant bruyamment sur ses droits de l’Homme et tout le tralala, devrait pourtant faire bondir.

Et en pratique, on ne pourra s’empêcher de noter l’asymétrie qui existe déjà entre le suivi de l’internaute par les sociétés commerciales et dont ce dernier peut se protéger assez facilement s’il le veut (depuis l’usage d’un navigateur respectueux à une pratique plus précautionneuse de navigation en passant par d’autres options offertes gratuitement ou commercialement), et le fichage maintenant systématique de l’État par absolument tous les moyens possibles, depuis le berceau jusqu’à la tombe.

La CNIL montre ici toute l’hypocrisie de son action : que fera-t-elle lorsque ce même État mettra en place un passeport médical obligatoire ? Où sera-t-elle lorsque l’État commencera à utiliser une forme ou l’autre de crédit social sur ses citoyens, à la mode chinoise ?

Rien.

H16

Volti

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