La doctrine nucléaire russe: une transparence nécessaire

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Source Observateur-Continental

La publication des Fondements de la politique nucléaire de la Russie pourrait s’expliquer par la reconnaissance par Moscou de l’effondrement inévitable des mécanismes actuels de maîtrise des armements et du retour de la politique mondiale en la matière à l’époque de l’anarchie des années 1950-1960. De facto, la situation pourrait être encore pire que durant les premières décennies de la Guerre froide. 

Le décret sur les Fondements de la politique nationale de la Russie en matière de dissuasion nucléaire, signé par Vladimir Poutine ce mardi 2 juin, contient plusieurs nouveaux points fondamentaux pour la politique nucléaire russe. 

Il s’agit avant tout de la publication en soi d’une doctrine à part consacrée à la dissuasion nucléaire. Auparavant ce thème était évoqué dans la Doctrine militaire de la Russie. Cependant, ce nouveau document les considère à part et bien plus en détail. 

Par exemple, la doctrine militaire russe (paragraphe 22) stipule: “La Russie se réserve le droit de se servir de son arme nucléaire en riposte à une attaque à l’arme nucléaire ou à une autre arme de destruction massive, réalisée contre elle et/ou ses alliés, ainsi qu’en cas d’une agression massive à l’arme conventionnelle mettant en danger l’existence même de l’Etat.” 

La même formulation a été reprise dans les doctrines militaires depuis 2000. Les Fondements de la politique en matière de dissuasion nucléaire comportent deux nouvelles conditions de recours à l’arme nucléaire: “l’obtention d’informations avérées sur le lancement de missiles balistiques pour attaquer la Russie ou ses alliés”, ainsi que “l’atteinte ennemie aux sites militaires et publics cruciaux dont la mise hors service empêcherait la riposte des forces nucléaires”. 

Vladimir Poutine avait déjà évoqué la possibilité d’utilisation de l’arme nucléaire contre les données du système de prévention d’une attaque de missile. La possibilité d’utiliser l’arme nucléaire en réponse à une “atteinte” contre le système de contrôle, qui n’est pas dévoilé (il pourrait être question en théorie d’une cyberattaque, d’un brouillage ou de sabotage) est une nouveauté. 

Parmi les risques impactant la politique russe en matière de dissuasion nucléaire le document mentionne le déploiement sur les territoires voisins des forces d’un ennemi potentiel disposant de vecteurs de l’arme nucléaire, ainsi que le déploiement par un ennemi potentiel de systèmes et de moyens de défense antimissile, de missiles balistiques ou de croisière de courte et de moyenne portée, d’armes non nucléaires et hypersoniques de haute précision, de drones d’attaque et d’armes à énergie dirigée. 

Dans les deux cas sont mentionnés les Etats qui considèrent la Fédération de Russie comme un ennemi potentiel, ce qui, du moins au niveau de la rhétorique, n’inclut pas la Chine dans la liste des pays visés par la dissuasion nucléaire. 

Tout en tenant compte du déploiement par un ennemi potentiel d’armements offensifs sur le territoire d’autres pays. Ce qui est manifestement appelé à servir d’avertissement aux Etats qui permettent de déployer sur leur territoire des missiles de courte et de moyenne portée américains, ainsi que des systèmes ABM et d’autres armements qui inquiètent Moscou. L’un des principes déclarés important est l’indétermination pour un ennemi éventuel du moment, de l’ampleur et de l’endroit de l’usage des forces de dissuasion nucléaire. 

Il convient de se demander à part pourquoi la Russie a choisi ce moment précis pour publier son premier document séparé dans le domaine nucléaire. Elle ne publiait pas de tels documents durant les  premières années de crise ukrainienne, quand les relations avec les Etats-Unis se détérioraient. La doctrine militaire avait alors été modifiée, mais ses paragraphes “nucléaires” n’avaient pas considérablement changé. 

A présent, les relations bilatérales ont déjà franchi leur pic critique. Elles se sont stabilisées, bien que ce soit à un niveau extrêmement bas, et devraient le rester pendant encore très longtemps, selon les prévisions. Aucun sérieux progrès n’y est attendu. 

La publication de ce document pourrait s’expliquer par la reconnaissance par Moscou de l’effondrement inévitable des mécanismes actuels de maîtrise des armements et du retour de la politique mondiale en la matière à l’époque de l’anarchie des années 1950-1960. 

De facto, la situation pourrait être encore pire que durant les premières décennies de la Guerre froide. A cette époque existaient deux superpuissances nucléaires, et à présent la Chine pourrait les rejoindre. Selon les estimations américaines, les forces nucléaires chinoises (qui équivaudraient actuellement aux forces françaises – environ 300 ogives) devraient au moins doubler d’ici 2030, mais la hausse réelle du potentiel chinois pourrait être bien plus significative. Les Etats-Unis pourraient réagir à la nouvelle situation par un renforcement notable de leurs forces nucléaires grâce à leurs propres avantages techniques et économiques uniques. 

En l’absence de perspectives du maintien de la maîtrise des armements, il devient nécessaire d’apporter une transparence maximale à ses propres visions du rôle de l’arme nucléaire dans la garantie de la sécurité nationale. Cela permet de réduire aujourd’hui le niveau d’indétermination et de créer un cadre de dialogue à ce sujet à terme. 

A l’heure actuelle, la Russie se distingue des autres pays du club nucléaire et d’autres grandes puissances militaires par une opacité maximale de la planification militaire et sa couverture médiatique minimale. On souhaiterait que l’une des deux superpuissances nucléaires exprime de manière plus systémique sa vision de la sécurité internationale et la place des forces armées dans sa garantie. Les Fondements de la politique nationale de la Fédération de Russie en matière de dissuasion nucléaire sont un très grand pas en ce sens.

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