Ukrainiens et intégration européenne : « Nous n’avons pas lu ce que nous avons signé »

Un marché de dupe pour l’Ukraine ? Partagez ! Volti

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Source : RIA Novosti traduction Christelle Néant pour Donbass-Insider

Le ministre ukrainien des affaires étrangères, Vadim Pristaïko, a déclaré que Kiev aimerait « réviser d’une manière ou d’une autre » l’accord d’association avec l’Union Européenne. Le même accord que le Maïdan a « soutenu » il y a six ans. Puis le président Viktor Ianoukovitch a été renversé et la guerre civile a commencé. RIA Novosti a enquêté sur ce que l’intégration européenne a apporté aux Ukrainiens.

L’échéance de révision de l’accord d’association avec l’Union Européenne arrive

Dans une interview accordée au site web allemand DW, Pristaïko a déclaré ce qui suit : « L’échéance pour la révision des conditions approche à grands pas, et nos fabricants l’attendent. La plupart des quotas fixés n’étant plus satisfaisants, nous avons entamé les premiers contacts avec l’Union européenne dans le cadre de l’accord commercial sur les produits exemptés de droits de douane. »

Bruxelles n’a pas répondu à cela.

Les politiciens de Kiev ont longtemps exprimé leur mécontentement à l’égard de l’accord d’association avec l’UE. En 2019, un membre de la Verkhovna Rada Mikhaïlo Poplavski s’est plaint avec émotion que les produits étrangers « c’est la chimie et la mort ». « Regardez ce que mangent nos enfants et nos petits-enfants », s’est-il indigné. « Aujourd’hui, il est nécessaire de créer un modèle pour que les zones rurales soient telles qu’elles étaient autrefois ».

Poplavski met l’accent sur sa proximité avec les gens ordinaires. Il possède une chaîne de restaurants « La Maison Paternelle », il dirige l’émission culinaire télévisée « Chef du Pays », produit le programme « Un pas vers les étoiles », dirige « l’Association des Ukrainiens du Monde » ainsi qu’une université créative. Sous Iouchtchenko, Poplavski était considéré comme un politicien « orange ».

L’ancien ministre de l’économie, Viktor Souslov, spécialiste dans ce domaine, s’est également exprimé dans le même esprit. Selon lui, il est injuste que « les produits européens arrivent automatiquement […] sans contrôle de qualité, alors que les produits ukrainiens doivent être certifiés conformes aux normes de l’UE ».

M. Souslov a rappelé la question des quotas et a conclu : « L’accord a été signé en toute connaissance de cause, de manière injuste, désavantageuse et discriminatoire ». L’industrie et l’économie du pays sont en train de mourir « à la suite de cette décision stratégique ».

Les Ukrainiens dupés par l’intégration européenne

L’associé le plus proche de M. Porochenko, autrefois chef adjoint de son administration, l’homme d’affaires Iouri Kossiouk, a également été déçu par cet accord. « Aucun marché n’a été ouvert. L’Europe parle d’une zone de libre-échange avec l’Ukraine, et en même temps, de nombreuses exceptions et restrictions à l’exportation de marchandises ukrainiennes ont été signées. Parce que l’Europe protège son marché, ses intérêts », a-t-il expliqué à « The Voice of America ». « C’est pourquoi je pense que la zone de libre-échange promue actuellement est une tromperie pour l’Ukraine. »

Il l’a constaté dans sa propre entreprise alimentaire. Bruxelles a accordé à Kiev un quota de 16 000 tonnes de poulet par an, alors que l’Ukraine en produit 1,2 million de tonnes. « Tout ce qui dépasse ce quota est soumis à un droit de douane de plus de 1 000 euros par tonne », s’est indigné Kossiouk.

Et le marché russe s’est fermé après l’intégration européenne de l’Ukraine. M. Porochenko a reconnu qu’il s’agissait d’un « choc économique » qui avait entraîné la perte de 15 milliards de dollars par an. Mais Moscou est coupable de tout, bien sûr.

Comme l’aspect économique était ambigu, l’aspect politique de l’association a été mis en avant par Kiev.

Il a été difficile de faire valider le document. Le processus a duré plusieurs années. Aux Pays-Bas, cela a même nécessité un référendum.

Enfin, en 2017, le Conseil de l’UE a approuvé l’accord, et M. Porochenko a félicité le pays pour sa victoire. Selon lui, il s’agit de la « défaite du Kremlin », qui aurait mobilisé toutes ses ressources contre l’accord entre Kiev et Bruxelles. « L’accord était l’une des principales exigences et attentes de l‘Euromaïdan », a rappelé M. Porochenko.

Les rêves des années passées

Pour certains, l’intégration européenne est restée un but important, tandis que pour d’autres, des années plus tard, tout cela n’est qu’une tromperie. Guennady Balachov, entrepreneur ukrainien, leader du parti libertaire « 5.10 », membre de la Rada de la troisième convocation se souvient : « En 2014, j’ai eu un sentiment d’injustice. Nous étions en train de préparer l’accord, et du jour au lendemain, Ianoukovitch a refusé de le signer. C’était comme si nous étions en route pour l’Europe et que nous étions arrêtés, trahis. Bien sûr, personne n’avait lu ce document. Mais nous avions vu que les Européens vivent bien, donc qu’ils devaient avoir de meilleures lois ».

Mais il ne regrette pas le choix fait il y a six ans. « Ce qui compte ici, ce ne sont pas les documents, mais la direction. La société aspire à l’Europe. Donc, rien n’a changé pour moi. Et le fait que les gens sont insatisfaits – ils sont toujours insatisfaits », a déclaré Balachov.

Il estime que l’alternative est « une troisième voie qui permettrait de réconcilier toutes les parties : faire de l’Ukraine un pays neutre, libre pour les affaires, un paradis fiscal, un grand pays offshore, une Suisse orientale ».

Viktor (nom changé à sa demande) a participé à Euromaïdan, a travaillé au siège de l’un des hommes politiques ukrainiens, et s’était lancé dans les affaires. « En 2014, tout le monde pensait qu’il y aurait des retraites et des salaires européens, que tout irait bien. Que nous ferions partie de l’Europe. Bien que même au sein de l’UE, tout soit différent, inégal, certains vivent plus riches, d’autres plus pauvres. Mais nous pensions que nous allions immédiatement nous intégrer et vivre comme l’Allemagne », dit ironiquement l’interlocuteur.

Selon lui, personne n’a lu le texte du document. Mais ce n’était pas nécessaire. Après tout, tout a été expliqué aux médias. « Si c’était écrit comme ça, c’était vrai, comment pourrait-il en être autrement ? Pas de cerveaux, on ne peut pas acheter en pharmacie », décrit-il la situation il y a six ans.

Selon Viktor, l’intégration européenne a été un succès, mais pour l’autre partie. L’UE a mis en œuvre tout ce qu’elle souhaitait. « Puis nous avons réalisé que personne n’allait nous emmener nulle part. Ni vers l’Europe. Ils nous ont donné ce malheureux régime d’exemption de visa touristique au lieu de la possibilité de travailler légalement. Tout le soutien occidental au Maïdan consistait à faire courir les mendiants d’Ukraine vers eux pour trois kopecks. Si un travailleur de l’UE est payé en cas de chômage, le nôtre sera simplement jeté à la poubelle », estime-t-il.

Viktor considère que la partie politique de l’accord est efficace. « Mais la situation économique s’est réduite au fait que les Européens ont reçu un énorme marché pour leurs produits, qui sont de meilleure qualité. Dans le même temps, ils ont presque complètement fermé leur marché à nos produits. J’ai personnellement vendu des produits métallurgiques, on m’a envoyé huit cents cahiers des charges en réponse, que je dois remplir pour être autorisé à participer à un appel d’offres. Il est clair que c’est ainsi que les concurrents sont écartés », explique-t-il.

Lorsque les pays de l’UE ont fermé leurs frontières à cause du coronavirus, des milliers de citoyens ukrainiens se sont retrouvés sans travail. « Les Polonais sont les plus intelligents : ils ont donné à nos travailleurs la possibilité de partir afin qu’ils ne reçoivent pas d’allocation chômage. Ils ont versé des impôts au budget polonais, et quand il fallait les payerun coup de pied au cul. C’est logique, car si vous allez travailler avec un visa touristique, il n’y a aucune garantie », a déclaré Viktor.

Un député de la Verkhovna Rada de la huitième convocation, Vladimir Oleïnik, estime que l’UE pourrait réviser les quotas dans cette situation, mais que cela ne serait pas rentable pour l’Ukraine. « Nous ne devons pas augmenter les quotas, mais imposer des restrictions à l’exportation de certains biens. Ils prédisent une mauvaise récolte, donc l’Europe est tout à fait capable de dire : donnez nous plus de blé et de pain. En conséquence, le pain va devenir plus cher en Ukraine », a-t-il déclaré.

L’intégration européenne, à laquelle beaucoup d’Ukrainiens croyaient il y a six ans, était et reste un rêve. Volodymyr Zelensky, le successeur de Porochenko, discute de la possibilité que l’Ukraine entre dans « l’espace européen » dans les mêmes termes. Et on se souvient aussi d’un certain « projet impérial » russe. Il semble que l’accord d’association avec l’Union européenne ne concerne pas tant l’économie et la politique que la psychologie sociale.

Anton Lissitsine

Source : RIA Novosti
Traduction par Christelle Néant pour Donbass Insider

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