Politique monétaire/réforme des retraites… quel rapport?

Tout le monde l’a compris la réforme des retraites est destinée à transformer le système par répartition en un système par capitalisation. Deux facteurs indépendants des français nous y conduisent inéluctablement:

1°- La construction même de l’Union Économique et Monétaire dont le principe est de faire muter les économies vers le libéralisme à long terme.

2°- Les GOPÉs, qui accélèrent et parachèvent le mécanisme précédent, en imposant des réformes politiques et sociales tournées vers l’ouverture à la concurrence dans tous les secteurs publics, la suppression de toutes les entraves au « commerce » (y compris dans nos services sociaux).

En 1970 (suite au Sommet de La Haye de décembre 1969), les chefs d’États adoptent le « Plan Werner » pour établir une Union Économique et Monétaire (UEM) en Europe, en 3 étapes et sur 10 ans (1971-1980). En 1972, se met en place la première étape  : le Serpent Monétaire Européen. Aucun peuple d’Europe n’a encore été consulté. Les chocs pétroliers inattendus de 1973 et 1979 empêchent les États de poursuivre le Plan Werner et les obligent à stagner sur ce mécanisme monétaire (SME de 1972 puis SME de 1979).

En réduisant les taux de fluctuations entre les monnaies européennes alors que nous ouvrions (libéralisions) les marchés financiers, les marchés de capitaux et supprimions les droits de douane, le SME inféodait les monnaies d’Europe au Deutschmark, la monnaie de l’Allemagne, qui était alors l’économie la plus forte (=> c’est le « Triangle de Mundell »  : théorie économique sur les unions monétaires qui apparaît dans les années 1960). Entre 1970 et 1980, la Banque de France ne peut ainsi presque plus dévaluer; ni moduler ses taux directeurs (ceux qui influencent toute l’économie, la consommation, le commerce extérieur, l’investissement, indirectement l’inflation et les taux de change) au risque de voir tous les flux de capitaux partir vers l’Allemagne.

Elle doit ainsi suivre le cours de l’inflation du Deutschmark, et dépend de ce fait de la politique monétaire de la Bundesbank. La France perd alors progressivement la possibilité de: 1°-résoudre les problèmes sociaux qui apparaissent (chômage)  ; 2°-réduire notre taux d’endettement  ; 3°-faire des choix de politique indépendants, selon le principe de la démocratie et le vote des français et non pour des raisons économiques en suivant la Bundesbank. Selon les mots de Mitterand la France était en « zone mark ».

En 1989, le rapport Delors est élaboré en secret entre les gouverneurs des douze Banques Centrales et reprend en grande partie le plan Werner de 1970. Delors, avec le soutien de la « Table Ronde des Industriels », planifie la mise en place de l’UEM pour un passage à la monnaie unique vers 1996-1997, et ajoute contre l’avis des dirigeants français (Mitterand, Bérégovoy, Trichet) le principe de l’indépendance d’une Banque Centrale Européenne à l’image de la Bundesbank. Ce principe ôte finalement la totale souveraineté nationale des États en matière de politique monétaire et donc notre capacité à garder le contrôle sur toutes les autres politiques (cf: Dyson Kenneth et Featherstone Kevin,The Road to Maastricht, 1999). Le rapport Delors aboutit, après négociations, sur le Traité de Maastricht.

En 1992 : le Traité de Maastricht est inconstitutionnel. Pour la toute première fois, un Traité engage des pays a se soumettre à des lois « à venir » d’autorité supérieure à toute loi nationale. Il était alors en voie d’être passé de force au parlement. C’est grâce au DISCOURS DE PHILIPPE SÉGUIN DU 5 MAI 1992, que ce dernier est présenté par référendum au peuple français. La campagne en faveur du OUI accède à une couverture médiatique démesurée et déséquilibrée contre le « non » à Maastricht, et bénéficie de la marginalisation des hommes politiques contre le projet européen depuis plusieurs années (cf: N. Jabko, L’Europe par le marché  : Histoire d’une stratégie improbable, 2009).

Or ATTENTION! : Malgré la monnaie unique, la valeur des euros fluctue entre les pays ENCORE AUJOURD’HUI ! C’est une notion complexe mais primordiale : chaque pays de la zone euro a conservé sa Banque Centrale, et son économie. Chaque pays a, en effet, une masse monétaire (d’euros) donnée liée à son poids économique (PIB Allemagne > PIB Grèce). Cependant pour des raisons de performances économiques (Allemagne= «bonne élève», Grèce = «mauvaise élève»), et de commerce entre États, les euros d’un pays vont graviter vers d’autres par le système de TARGET (cf: Charles Sannat) . Exemple  : un français achète une voiture allemande à 20k € => sa banque le débite de 20k€ => elle verse 20k € à la Banque de France => la BdF ne peut pas envoyer 20K à la Bundesbank car elle n’a pas de compte chez elle => donc « la BdF se crée une dette envers la Bundesbank de 20k », c’est le système des TARGET => la Bundesbank verse 20k à la banque du concessionnaire allemand qui crédite 20k sur le compte de ce dernier.

Dans cette situation la demande française d’euros allemands a fait augmenter la valeur de l’euro allemand mais la France a perdu 20k euros français, ce qui a fait baisser la valeur de l’euro français. Dans la réalité, les flux de capitaux, commerciaux et financiers en direction de l’Allemagne ont désormais dépassé les 900 milliards d’euros (conférence de Vincent Brousseau).

A contrario pratiquement tous les pays de la zone euro sont endettés les uns vis-à-vis des autres et surtout de l’Allemagne, car il n’existe aucune « union de transfert » dans l’UEM qui reverserait les surplus vers les zones déficitaires (comme cela se passe entre les régions d’un pays). Or en 1999, le taux de change des monnaies nationales vers l’euro unique fut fixé irrévocablement => mais comme vous l’avez compris les valeurs fluctuent entre les pays, il y a donc des distorsions de l’euro entre les économies qui le « tirent vers le haut » (Allemagne, Luxembourg etc.) qui devraient « réévaluer » et celles qui « tirent vers le bas » (France, Grèce, Italie, Espagne etc.) et qui devraient « dévaluer ».

En effet la monnaie unique est trop forte pour beaucoup de pays dont la France, ce qui provoque une concurrence déloyale au sein même de l’UE. Celle-ci ne peut être compensée que par  : la fiscalité (perte de pouvoir d’achat), la vente de biens et entreprises nationales, la suppression des services publics et sociaux, augmentation de la dette publique… à savoir les seuls canaux que peut actionner un État sans politique monétaire afin de « récupérer des euros » et combler les pertes et respecter la règle européenne des 3% de déficit public (Julien Bouvet, Faut-il rembourser la dette publique?, 2015).

Ce système d’UEM nous conduit donc de facto vers un système politique, social et économique ultra-libéral de gré ou de force (=> réforme des retraites, privatisation d’ADP, SNCF, FDJ etc. )  là où une politique monétaire SOUVERAINE nous permettrait de l’éviter. En effet, jusqu’à avant le premier SME: si par exemple la France avait besoin d’un hôpital => la BdF créait l’argent => la rentabilité de l’hôpital + celle des entreprises nationales + la variation des taux d’intérêts par le gouvernement permettaient le remboursement de l’emprunt => la BdF supprimait alors l’argent mis en circulation. Aujourd’hui  : si la France a besoin d’un hôpital => elle emprunte sur les marchés financiers avec des taux d’intérêts => les entreprises nationales ont été vendues + le gouvernement ne peut rien faire au niveau des taux => donc on NE PEUT PAS REMBOURSER=> cependant: augmentation de la fiscalité + vente de biens et entreprises nationales + suppression des services publics sont nécessaires pour respecter les 3% de déficit public ordonnés par l’Union Européenne.

Pour accélérer ce processus, les « Grandes Orientations de la Politique Économique » dites les « GOPÉs » sont élaborées tous les ans par l’UE pour chaque État membre et édictent les réformes que doivent mettre en place les chefs d’États. Cela prend la forme de «  recommandations  » mais expose les pays à des amendes si ces dernières ne sont pas respectées. Il est ainsi « recommandé » dans les GOPÉs de juin 2019, p.5 paragraphe 15 : «que la France s’attache, en 2019 et 2020 […] à réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraites ». La privatisation des services publics, la baisse des dépenses publiques, la flexibilisation du marché du travail sont également inscrites dans les GOPÉ. C’est ce qui se produit actuellement et nous n’avons pas voté pour cela.

Comme le disait Jean-Claude Juncker lui-même, ancien président de la Commission Européenne: « Il ne peut y avoir de choix démocratique face aux Traités Européens ». (29 janvier 2015, Le Figaro)

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Sans POLITIQUE MONÉTAIRE (la capacité de frapper monnaie et le contrôle des taux d’intérêts), nous ne pouvons avoir d’indépendance dans la gestion de notre pays. Sortir de l’UEM et de l’UE, le « FREXIT », constitue alors le seul moyen de récupérer notre « DÉMOCRATIE », c’est-à-dire le programme pour lequel nous votons, ET notre « Souveraineté Nationale » pour décider nous-même de notre sort et signer les accords bilatéraux dans l’intérêt de la France (contrairement au TAFTA, au CETA, au JEFTA…).

image: courbe sur l’évolution des soldes TARGET 2, source: upr.fr

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3 Commentaires

  1. Nous restons toujours bloqués sur le problème du choix de la priorité.

    A savoir, prioriser le Frexit, et cautionner le système électif représentatif en rêvant qu’Asselineau soit élu, ait une majorité parlementaire, et lance la procédure de l’article 50.

    Ou, exiger la convocation d’une Assemblée Constituante issue d’un tirage au sort qui permettra d’instaurer la 1ere Démocratie, de légitimer une volonté claire de souveraineté politique et financière, et de lancer la procédure de l’article 50, et de participer à la construction d’une nouvelle Europe d’États Nations.

    Chaque proposition a ses partisans.

    Bataille d’arguments en perspective…https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_wink.gif

    • Votre seconde idée est intéressante.
      Cependant l’expérience T. May nous met en garde contre ce qui peut advenir d’une décision tombée entre les mains de personnes n’ayant pas porté le projet. Nos dirigeants qui savent toujours trouver leur compte (quand bien même à contre cœur) aux revirements de situations… sont également passés maîtres dans l’art de la manipulation et de tirer des ficelles 😉

      J’aimerais que votre proposition se produise si elle pouvait être plus rapide que la prise de conscience individuelle. J’ai peur néanmoins dans un tel cas, qu’il n’y ait toujours qu’une minorité qui comprenne l’impératif du FREXIT, et qu’au final la situation soit pire qu’à l’origine… version Grèce.

      Nous verrons ce que l’Histoire nous réserve!

  2. Constituante.
    A voté !

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