Le fil de notre Histoire…

En droite ligne du plus ça va et moins ça va. Excellente réflexion et analyse sur la déliquescence de notre société. Y sommes nous pour rien ? Un autre article à lire qui peut être complémentaire, “ventre mou” (À lire ICI) Partagez ! Volti

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Auteur Xavier Alberti

Pixabay

Un jour nous avons oublié qu’une nation n’avait pas vocation à se réunir uniquement les soirs de victoires et les après-midis de deuil, et nous avons perdu le fil de notre Histoire. Ce ne serait pas très grave, si ce faisant, nous n’avions abandonné la République en rase campagne pour lui préférer les attributs qui qualifient et qui divisent. Dans son dernier ouvrage, « L’archipel français », Jérome Fourquet décrit cette France désormais atomisée, socialement, économiquement, culturellement, territorialement, et c’est un fait que, jamais peut-être dans son Histoire, la Nation Française n’avait à ce point tenu à un fil. Passée à la lessiveuse consumériste, notre cohésion s’est dissoute dans l’individualisme et le storytelling personnel s’est substitué au roman national.

Dans un pays où nous avions développé une certaine idée du vivre ensemble, par la convivialité, par la table, par le bistro, par les héros positifs, par cette culture populaire qui se diffusait dans toutes les couches de la population, nous en sommes réduits à nous diviser sur tout et à nous dénigrer avant de nous dénoncer.

Désormais, chacun revendique son identité sans plus jamais se souvenir de celle qu’il partage avec les autres. Lentement mais sûrement, le citoyen s’est effacé derrière l’individu, et le groupe – qu’il soit social, cultuel, culturel, économique, linguistique – a pris le pas sur la nation, renvoyant les valeurs centrales de cohésion qui forgent une identité nationale à la cave d’un pays soudainement amnésique de lui-même.

Même dans les crises sociales qui émaillent l’histoire récente de notre pays, les revendications sont essentiellement catégorielles, fracturant constamment les français en clans contraires qui s’organisent selon les lignes de démarcations du moment. Ainsi, il y aurait d’un côté les fainéants profiteurs d’un système qui subventionne tous les comportements et de l’autre les riches, parvenus ou héritiers, qui s’extraient de la solidarité nationale pour cacher leurs fortunes dans les paradis fiscaux; il y aurait d’un côté les bobos urbains cyclotractés qui planent hors sol d’un monde dont ils ignorent tout et de l’autre les culs-terreux incapables de se prendre en main et qui puisent dans leur refus de la mondialisation ce qui nourrit la peste brune; il y aurait d’un côté les spécistes hypocondriaques adorateurs de l’eau douce et des carottes vapeur et de l’autre les viandards alcooliques, tortureurs d’animaux et exécuteurs de colombes; il y aurait d’un côté les laicards extrémistes empêcheurs de croire et blasphémateurs professionnels et de l’autre les ayatollahs avec ou sans barbe qui voilent les femmes ou qui entravent leur droit à disposer de leur corps.

Bref, les caricatures s’opposent et nous précipitent dans les oppositions dont se nourrissent les affrontements à venir. Nous avons tout à perdre dans le chemin que nous suivons, à commencer par la paix civile, qui entraînera dans sa chute, la démocratie puis la République.

Dès lors c’est à la République de redonner un destin à la nation qui la soutient, car c’est bien la République qui porte en elle les valeurs qui nous définissent et le roman que nous écrivons en les défendant. Or, chacun a eu tendance à l’oublier et à voir dans la République un espace de libertés, de droits acquis et de nouveaux droits à conquérir, sans plus jamais se soucier de lui rendre en devoirs, ce qu’elle nous prodigue en possibilités, et c’est parce que nous l’avons négligée que la République ne remplit plus l’espace qui lui revient.

Que la nation française soit diverse, qu’elle cultive le désaccord et la controverse à l’infini n’est pas nouveau et fait partie de notre identité, mais que ces divergences se transforment en camps retranchés est mortifère si dans le même temps, ce qui transcendait les différences pour nous unir dans la nation, s’affaiblit jusqu’à s’effacer. Si nous ne partageons plus de projet commun, si nous ne chérissons plus les mêmes valeurs, alors nous ne sommes plus un peuple, juste des voisins indifférents avant de devenir hostiles.

Par ailleurs, si nous ne partageons plus les valeurs qui ont fondé cette nation, cela signifie qu’il n’existe plus personne pour les défendre contre leurs ennemis, toujours à l’affut de l’espace que nous laissons vacant, car la civilisation est une guerre de positions. C’est ainsi que lorsque la laïcité recule, le fondamentalisme progresse, lorsque la justice piétine, la délinquance croit en même temps que l’incivilité s’installe, lorsque le principe républicain s’efface, le racisme et l’antisémitisme réapparaissent.
Si les périls avancent c’est que les frontières qui délimitent le champs républicain reculent. Pour regagner le terrain abandonné, nous devons reprendre le roman national là où nous l’avons laissé, à ce moment précis où la France affirmait les contours de ce qui n’est pas négociable :

La liberté, qu’une part croissante de la population croit pouvoir confondre avec la possibilité de dire et faire ce que l’on veut, consiste en fait « à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Ainsi, l’exercice de la liberté est-il soumis aux bornes qui ne peuvent être déterminées que par la loi. Dès lors, la liberté n’est pas la mère du laxisme mais la possibilité pour chacun de choisir sa vie sans jamais s’affranchir de la liberté des autres.

L’égalité, qui n’est pas l’égalité totalitaire des citoyens entre eux mais l’égalité de tous les citoyens face à la loi, face à leurs obligations, face à leurs droits et face à leurs devoirs. Cette égalité, que les Grecs appelaient « isonomie » repose d’abord sur la capacité de la République à faire en sorte que la loi, les droits et les devoirs s’appliquent à chacun avec la même force. Nous payons aujourd’hui la dette politique laissée par ceux qui, en toute impunité, se sont essuyés les pieds sur la loi et sur la plus stricte décence républicaine tout au long de la 5ème République, tous ceux qui ont oublié de servir mais jamais oublié de se servir.

La fraternité qui n’est pas un droit, mais une obligation faite à chaque citoyen de faire oeuvre de solidarité envers les autres, c’est à dire envers ceux qui se battent pour la liberté et l’égalité, ceux qui y aspirent, ceux qui en sont privés. C’est la dimension universelle de la révolution française qui fonde la Fraternité comme un des piliers de notre modèle de construction nationale mais aussi d’accueil des étrangers, de lutte contre les régimes totalitaires, de rayonnement des droits de l’Homme. À force d’accommodements raisonnables ou de realpolitik, nous avons laissé croire que la Fraternité était une faiblesse voire une naïveté et qu’elle nous promettrait le pire. C’est tout l’inverse car la fraternité est une part saillante de notre identité, et ce devrait toujours être une partie de l’honneur d’être français que d’être capable de relever celui qui est au sol, d’accueillir celui qui fuit, de soigner celui qui souffre, de jeter une bouée à celui qui se noie. La Fraternité c’est le coeur battant de la République, sans elle, nos idéaux, nos valeurs, nos grandes déclarations et finalement notre identité ne sont qu’une « cymbale retentissante », bruyantes mais vides de sens.

Enfin celle que nous avons oublié d’inscrire aux frontons des édifices publics et au cœur de la devise républicaine, la laïcité. À l’heure où beaucoup se demandent s’il faut réécrire ou renforcer la loi de 1905, il apparait assez clairement que nous devons au moins la remettre au milieu du village, au milieu de l’école, au milieu de nos villes, de nos banlieues, de nos services publics, afin que chaque religion fasse le nombre de pas nécessaire pour reculer et se (re)mette à bonne distance, la même pour chacune d’elles, c’est à dire dans la sphère privée et nulle part ailleurs. C’est à ce prix-là que la laïcité permet à chacun de croire ou de ne pas croire dans le respect de l’autre, et c’est en pleine conscience que chacun doit comprendre et admettre qu’en France, la loi de la République s’impose à celle de Dieu. Mais là encore nous avons failli, et dans un pays où la laïcité s’est bâtie sur une nation mono-confessionnelle, l’émergence d’autres croyances et d’autres cultes, ont mis à mal les équilibres sur lesquels nous vivions en paix. Nous avons laissé faire, nous avons laissé passer car nous avons vénéré les droits sans jamais rappeler les devoirs.

Et c’est bien là, quand elle doit imposer ses devoirs que la République a tendance depuis plusieurs décennies à reculer; or pour que la République soit généreuse, pour qu’elle soit heureuse, pour qu’elle soit unie, elle doit reposer sur un principe indiscutable, l’autorité. Sans autorité, tout s’effondre, la liberté se transforme en laxisme, l’égalité en injustice, la fraternité en égoïsme et la laïcité disparait sous le prosélytisme et le communautarisme.
Cette autorité, qui n’est pas l’autoritarisme, tire sa force de sa légitimité et non de sa puissance et repose sur trois piliers indissociables, la famille, l’école et la loi. Sans parents présents, sans instituteurs respectés et sans juges craints, il n’y a aucune République possible.

C’est une fois que nous aurons réaffirmé et renforcé les valeurs fondamentales qui forgent notre identité, pierre angulaire de notre cohésion, que nous pourrons nous rassembler autour des grands projets qui nous manquent tant et qui sommeillent là où demeure le génie français, inventer: Inventer le nécessaire nouveau partage de la richesse, inventer l’entreprise humaniste, inventer la décentralisation du 21ème siècle, inventer le nouvel équilibre agricole et alimentaire mondial, inventer la ville sure, saine et durable, enfin, inventer l’Europe et la doter à son tour des valeurs et du destin communs sans lesquels elle n’existera jamais. À force d’entendre que nous étions un petit pays, nous avons oublié que nous sommes une grande nation et que loin des clichés conservateurs, loin de l’image du français bougon et réfractaire, nous sommes un peuple pionnier, créateur, chercheur, inventeur, producteur, qui a tissé le fil de l’Histoire pendant mille ans… reprenons-le !

Xavier Alberti

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Volti

Un Commentaire

  1. Même après cet article,
    il y en aura toujours pour vous expliquer doctement : “Que la patrie, la nation c’est la guerre”.
    Car certains con-disciples “bas-peuple” aiment les grands concepts qui les glorifient.
    Alors eux, “ils sont citoyens du monde”.(c’est beau c’est grand…c’est orgueilleuxhttps://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_cool.gif)
    …Oubliant surtout, qu’ils seront citoyens de nul-part!!!
    Proie sans défense, esclave viande de boucherie façon Verdun1916 puissance dix, ….version cosmopolite universelle mondiale.

    …En Marche(https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_wink.gif) vers le meilleur des mondes.

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