Comment Israël sous-traite la gestion de déchets dangereux au mépris de la santé des Palestiniens…

Privés de revenus par la politique d’occupation, les habitants de plusieurs localités de Cisjordanie se sont rabattus sur le traitement « sauvage » de déchets électroniques et électroménagers… venus d’Israël. Un business qui bénéficie d’une réglementation minimaliste entretenue par les autorités israéliennes, en violation des normes internationales. Avec des conséquences dramatiques pour la santé des personnes exposées, de même que pour la terre et les eaux pollués. Des ONG israéliennes dénoncent une pratique « typiquement colonialiste ». Reportage.

Le long de la route, se succèdent les hangars branlants et les ateliers clandestins de démantèlement de matériel électronique. Des monceaux de déchets plastiques et métalliques envahissent le paysage paisible des collines d’oliviers. Idhna est une petite ville palestinienne de 27 000 habitants, située à l’ouest d’Hébron et collée à la barrière de séparation israélienne. Elle est devenue, en quinze ans, une plaque tournante du recyclage artisanal des déchets informatiques et électroménagers, venus d’Israël par des camions transportant quotidiennement entre 200 et 500 tonnes de matériel [1].

A partir des années 2000, avec la construction du mur qui a confisqué des terres agricoles et les restrictions de permis de travail pour Israël, une partie des habitants a trouvé une source alternative de revenus dans ce secteur informel. Ils ont alors commencé à brûler des vieilleries achetées au kilo, dans un coin de leur champ, souvent à côté de leur maison, dans l’espoir de tirer quelques grammes de métaux à revendre.

Maladies respiratoires, cancers et fausses couches

Cette activité, hautement risquée et polluante, a pullulé lorsque les cours de l’or et du cuivre se sont envolés vers 2005. « Tout le monde a commencé à s’y mettre, sans rien y connaître », raconte le Dr Ahmad Hassan Batraan, médecin généraliste au centre de santé municipal. Selon lui, au moment du pic d’activité, près de 60% de la population tiraient directement ou indirectement des revenus de ce recyclage sauvage. Lui-même avoue s’être associé dans une affaire pendant quatre mois.

Après quelques années, le médecin a commencé à voir défiler dans son cabinet de plus en plus de cas de maladies respiratoires, de cancers inhabituels et de fausses-couches [2]. Il est aussi amené à traiter des coupures graves ou des brûlures sur des travailleurs des ateliers de démantèlement. « Plusieurs personnes ont perdu un œil, rapporte-t-il. Aujourd’hui l’activité est en baisse, mais il y a encore quelque temps, je traitais en urgence six à sept personnes par jour. »

Contamination des terres agricoles

Pratiquement aucun contrôle, ni sur les conditions de travail, ni sur les conditions de sécurité sanitaire et environnementale ne sont effectués sur les activités de la centaine d’ateliers illégaux [3]. Car elles sont situées en « zone B », une sous-division héritée des Accords d’Oslo de 1993, qui place Idhna théoriquement sous le contrôle conjoint de l’administration militaire israélienne et de l’Autorité palestinienne. « Dans les faits, ça veut dire que personne ne contrôle rien », confie un premier entrepreneur – également instituteur – qui fait travailler « au noir » trois ou quatre personnes pour trier des cartes électroniques à même le sol en béton d’un petit entrepôt.

L’homme – qui n’a pas souhaité donner son nom – assure qu’il ne brûle pas le matériel qu’il reçoit. Mais nombreux sont ceux qui ont utilisé cette technique pour extraire de manière rapide et économique les métaux précieux. Le résultat a été une contamination très rapide de l’environnement et une catastrophe en termes de santé publique. D’après la Palestinian Medical Relief Society, principale ONG médicale locale, l’air, les sols et la nappe phréatique sont aujourd’hui saturés de dizaines de substances cancérigènes toxiques (mercure, plomb, cadmium, PVC et PCB). D’après les chiffres de la mairie, ce sont près de dix hectares de terres agricoles qui sont définitivement rendues impropres à toute culture. Les sources naturelles sont également devenues inutilisables pour abreuver le bétail.

Les autorités israéliennes ferment les yeux

Dans un second atelier, le spectacle est légèrement différent. C’est une parcelle de 15m² environ, à ciel ouvert, où la terre souillée d’huile a pris une couleur noirâtre. Une demi-douzaine d’hommes, en jeans et t-shirt tout aussi noirs, fracasse des carcasses d’objets indéfinissables. Un enfant d’une dizaine d’années travaille parmi eux. Personne ne porte de masques, ni de lunettes de protection. Certains ont des gants de jardinage tout au plus. Le propriétaire du terrain assure qu’ils ne font que récupérer les câbles de cuivre et quelques pièces automobiles. Malgré la présence de réfrigérateurs et de bouteilles d’oxygène utilisées dans les hôpitaux – et qui contiennent des gaz potentiellement dangereux –, il ajoute n’accepter aucun matériau dangereux.

Au fil des années, des réseaux de fournisseurs et de revendeurs se sont tissés entre les villages palestiniens du coin, les villes israéliennes toutes proches et les colonies. Le premier chef d’atelier raconte qu’il est en affaires avec un colon, qui revend le matériel « propre » et trié en Belgique. « Ça fait treize ans qu’on travaille ensemble. Tout repose sur la confiance, il n’y a pas de contrats. Bien sûr, tout peut s’arrêter du jour au lendemain. » Dans cette région où tous les mouvements de personnes et de matériel sont étroitement contrôlés par les services de sécurité, il est clair pour tous les acteurs que ce business ne peut perdurer que parce les autorités israéliennes ferment les yeux.

Un rapport de sous-traitance « typiquement colonialiste »

Pour Akram Amro, responsable local de la Green land society for health development, une ONG financée par la Finlande, ce qu’il se passe à Idhna est une pratique « typiquement colonialiste, où un pays développé sous-traite des activités dangereuses à un pays tiers où la législation environnementale est plus souple et la main d’œuvre moins chère ». Sauf que, dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas d’un pays tiers souverain, mais bien d’un territoire sous occupation.

C’est ce que dénonce le centre israélien d’information sur les Droits humains dans les territoires occupés, B’tselem, dans un rapport publié en décembre et intitulé « L’exploitation des terres palestiniennes pour le traitement des déchets israéliens ». Le chercheur Adam Aloni a répertorié en Cisjordanie une quinzaine de sites industriels de traitements de déchets et des eaux usées. Six d’entre eux traitent des produits dangereux : huiles, solvants et eaux contaminées provenant de l’industrie, matériel médicaux infectieux, ou encore divers déchets solides électroniques, telles que des batteries [4].

Des réglementations édictées par l’armée israélienne

« Israël abuse de son statut de puissance occupante et du fait que les Palestiniens n’ont pas leur mot à dire dans le processus de décision – ce qui ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas s’opposer aux décisions prises. L’État applique des réglementations moins rigoureuses dans les zones industrielles des colonies et offre même des incitations financières comme des exonérations de taxes et des subventions gouvernementales, explique le chercheur. Cette politique rend plus rentable de construire et d’opérer des usines de traitement des déchets en Cisjordanie, plutôt qu’en Israël. »

De fait, la législation en Israël concernant l’impact environnemental est stricte et correspond aux standards en vigueur dans les pays de l’OCDE. Le traitement des égouts et des déchets y est une activité soumise à des autorisations d’opération industrielle et à des contrôles réguliers. Or le rapport de B’tselem souligne qu’en Cisjordanie, du fait de la situation d’occupation militaire qui dure depuis 50 ans, ces activités ne sont que partiellement encadrées par des règlements de l’armée. Les normes israéliennes sur la qualité de l’air ou l’obligation de mener des études environnementales ne s’y appliquent pas. Et le comité conjoint israélo-palestinien d’experts pour l’environnement, établit après les Accords d’Oslo, ne s’est pas réuni depuis 1999 !

Violation des conventions de Bâle et de la Haye

L’ONG dénonce l’impuissance des Palestiniens face à ces « zones sacrifiées » imposées sur leur territoire, et l’illégalité de cette politique au regard de la Convention de Bâle de 1992 sur les transferts de déchets dangereux. Le pays « receveur » doit pouvoir signifier son accord. « Tout se passe comme si Israël considérait que transporter ces déchets dangereux en Cisjordanie n’était pas différent que de le faire sur son propre territoire », écrit Adam Aloni.

Les sites industriels nommés dans son enquête sont pour la plupart situés sur des terres palestiniennes occupées par des colonies juives. Par ailleurs, leur existence et l’avantage concurrentiel qu’ils présentent contreviennent à la Convention de la Haye sur les lois et coutumes de la Guerre qui détermine qu’« un territoire occupé et ses ressources ne peuvent pas être utilisés par la puissance occupante pour ses propres besoins et son développement économique ».

Recherche d’une « normalisation » du secteur

A Idhna, faute de pouvoir compter pour l’instant sur une évolution des réglementations, on met en place des actions locales pour tenter de limiter l’impact du recyclage sauvage. La Green Land Society vient d’ouvrir un centre de sensibilisation pour mieux informer la population des risques pour la santé. Elle distribue des gants et des masques de protection aux travailleurs, et organise des opérations de nettoyage de décharges sauvages.

De son côté, la mairie fait la chasse aux « brûleurs ». Arrivé à la tête de la municipalité il y a quelques mois seulement, Moamar Tomazy a fait de la lutte pour « normaliser » le secteur sa priorité. Le maire n’hésite pas à participer en personne aux contrôles en flagrants-délits.

« On a réussi à réduire de 80% cette pratique. Nous mettons aussi à disposition des broyeuses pour que les gens puissent venir gratuitement faire dépecer leur matériel, sans le brûler ». L’édile explique que le but n’est pas d’éradiquer toutes les activités – car elles font vivre beaucoup de familles -, mais de les faire évoluer pour limiter leurs effets néfastes. Un projet d’usine est à l’étude. S’il obtient le soutien des autorités israéliennes, il pourrait garantir pour l’avenir des emplois et une meilleure protection de l’environnement pour les habitants d’Ihna.

Auteur Nina Gauvain pour BastaMag

Notes:

[1Estimation de 2012 donnée par le Ta’awan Centre for Conflict Resolution (TCCR).

[2Une étude réalisée par le Ministère palestinien de la Santé en 2014 a montré que la population présentait des concentrations dangereuses de métaux lourds dans leur sang. Une seconde de l’université de Bethléem en 2016 a relevé un fort taux de malformations chromosomiques chez cette même population.

[3Selon les sources, ils seraient rien qu’à Idhna entre 80 et 130, faisant travailler environ 2500 personnes. Les communes voisines de Beit Awwa et Deir Samit sont également concernées.

[4Le rapport de cite pas d’exemples de matériels issus de l’armement militaire, mais cette probabilité a été évoquée par des chercheurs et par la presse.

Voir aussi:

Projet de loi sur l’asile et l’immigration : « Un document technocratique et inhumain »

A Lyon, le mouvement d’occupation monte en puissance face au durcissement de la politique migratoire

 

 

Volti

2 Commentaires

  1. les poubelles de la planète arrivent à saturations..idiocratie à son plus haut niveau..au nom du pouvoir et de l’avoir….

    simple constat

    bonne soirée à tous les mougeons

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