L’échec d’une politique par Jacques Sapir…

L’analyse n’est pas vraiment optimiste.

Alors que le G-20 de Hambourg se termine, et après les deux discours d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe, le premier au Congrès et le second devant l’Assemblée Nationale, l’ampleur de l’échec à venir de la Présidence Macron se dessine. Ce n’est pas un point anecdotique, et il ne peut s’agir d’un constat réjouissant, mais c’est un fait : ce Président, élu sur un malentendu et appuyé sur une majorité elle-même probablement la plus mal élue de la République, va plonger la France dans une crise profonde.

Une diplomatie ingénieuse mais perdante

Reprenons la chronologie. A Hambourg, Emmanuel Macron, et avec lui la France, a été inaudible. Bien entendu, la première rencontre personnelle entre Donald Trump et Vladimir Poutine a concentré l’attention. Mais, au-delà, la France n’a pu faire entendre sa voix. Cela confirme un constat que l’on pouvait déjà tirer après l’échec personnel pour Emmanuel Macron qu’avait représenté le sommet européen des 22 et 23 juin. Il y avait été incapable de faire prendre en compte des revendications, que l’on peut trouver restreintes et qui constituaient le socle minimal des demandes françaises, à ses collègues de l’Union européenne.

La stratégie d’Emmanuel Macron se déploie en deux temps. Dans le temps diplomatique, il entend jouer les intermédiaires, les « go between » pour reprendre le titre d’un grand film de Joseph Losey, entre Donald Trump et Angela Merkel, afin de bâtir un rapport de force vis-à-vis de l’Allemagne. C’est le sens de l’invitation qu’il a adressée au Président des États-Unis, invitation que ce dernier a acceptée, à venir assister avec lui au défilé du 14 juillet. Ce n’est pas une mauvaise idée, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon sur ce point mal inspiré, mais il est clair que cela n’aura que peu d’effets. Donald Trump, dont on dit souvent que le comportement est erratique, poursuit en réalité une politique claire de défense des intérêts de son pays. Et cette politique est aujourd’hui contradictoire avec celle de l’Allemagne. Ce n’est pas une place dans la tribune d’honneur qui y changera quelque chose, quoi qu’en dise certains journalistes. Angela Merkel, qui affronte avec sérénité des élections au mois de septembre prochain, n’a nullement l’intention, ni la volonté, de faire la moindre concession que ce soit à Donald Trump ou, indirectement, à Emmanuel Macron. En effet, aujourd’hui le cadre de l’UE de la zone Euro fonctionne à plein pour les intérêts des entreprises allemandes. Elle n’acceptera des changements que contrainte et forcée.

Quand Macron imite la « force des forts »

Sans doute inquiet de la tournure prise par le volet diplomatique de sa stratégie, Emmanuel Macron a décidé de mettre en œuvre un volet interne. C’est le sens du discours d’Édouard Philippe,mardi 4 juillet, devant l’Assemblée Nationale. Prenant prétexte de la « découverte » par la Cour des Comptes d’un trou de 9 milliards dans les estimations budgétaires, il a décrété un tournant austéritaire, un de plus, pour l’économie française. On peut certes s’étonner de la « découverte », quand on se rappelle qu’Emmanuel Macron fut le Ministre de l’économie jusqu’à l’été 2016. Il s’agit bien évidemment d’un prétexte.

En annonçant des coupes importantes dans les dépenses publiques (80 milliards sur 5 ans), le gel du point d’indice des fonctionnaires qui ont pourtant perdu largement en pouvoir d’achat depuis dix ans, et diverses autres mesures dont bien entendu la fameuse réforme du Code du Travail dont les conséquences en matière de pouvoir d’achat serons considérables, Édouard Philippe assume ce tournant austéritaire. Mais, il n’en dit pas la véritable raison.

En fait, ce tournant n’est nullement lié au problème relevé par la Cour des Comptes. Emmanuel Macron est persuadé, et sur ce point on peut lui faire crédit de sa sincérité, que c’est en appliquant cette politique, et en remettant la France dans une orthodoxie comptable (avec le respect strict de la règle des 3% du déficit), qu’il va construire sa crédibilité face à l’Allemagne et à Mme Angela Merkel. Cela revient à croire que c’est en s’imposant une purge amère que l’on peut être pris au sérieux. C’est un raisonnement d’enfant de 10 ans qui se dit, devant cette purge : « les adultes la prennent bien, si j’en suis capable, ils me prendront au sérieux ». Cette logique fut magnifiquement décrite il y a 100 ans par Jack London dans un de ses nouvelles, La Force des Forts[1]. Sauf que la politique internationale n’obéit nullement à ces règles enfantines. Elle implique des logiques d’alliances, avec des pays connaissant les mêmes problèmes que nous, et surtout elle implique que l’on nous croit capable de « casser la vaisselle ».

L’impact d’une purge austéritaire

Cette purge austéritaire va plonger la France dans un nouvel épisode de récession. Il suffit pour le comprendre de lire attentivement les statistiques économiques. Nous vivons aujourd’hui sur un « plateau », lié à l’amélioration du pouvoir d’achat qui s’est manifestée depuis l’hiver 2016. Mais, et les statistiques de l’INSEE l’indiquent clairement, la contraction relative des revenus nominaux associée à une (très petite) poussée d’inflation, va provoquer une détérioration du pouvoir d’achat à partir de la fin de l’année 2017. Si, en 2018, viennent se combiner à cette détérioration les effets des mesures d’austérité décidées par Edouard Philippe et les effets des mesures structurelles, dont celles concernant le Code du Travail, alors la consommation et le revenu disponible des ménages se verront amputés. Cela conduira à une nouvelle période de baisse de l’activité, tout comme la politique de François Fillon, ou le choc fiscal de François Hollande avaient eux-aussi conduit à des baisses d’activités, autrement dit à des hausses, plus ou moins importantes du chômage.

On comprend que les français, dans leur grande majorité, soient plus que circonspects quand aux mesures promises et annoncées par Emmanuel Macron et Édouard Philippe. Mais, cette circonspection peut très vite se tourner en mécontentement de fond. Or, il faut toujours le rappeler, le Président Macron a été élu sur un malentendu, par défaut, et sa majorité a réuni la plus faible proportion des inscrits par rapport à son nombre effectif de députés. Dans ces conditions, le contexte d’une crise politique grave, d’une crise politique qui pourrait déboucher sur une crise de régime, est d’ores et déjà en place.

L’accumulation de poudre dans la Sainte-Barbe du navire France n’implique pas, évidemment, que tout va sauter. Mais, danser dans cette Sainte-Barbe avec une torche à la main, ce qui est métaphoriquement ce que font tant Emmanuel Macron qu’Édouard Philippe, et La République en Marche, dont l’attitude à l’Assemblée nationale par son refus du pluralisme mais aussi de par l’inexpérience de nombreux de ses députés, pose un véritable problème à la démocratie, est une attitude profondément malsaine et irresponsable.

Le problème posé aux pays de la Zone Euro et de l’Union européenne par la politique allemande est une réalité. Plutôt que d’imaginer que ce soit par l’imitation, voire par l’apaisement – oh mânes de Daladier et Chamberlain à Munich – que l’on pourra faire modifier le cadre politique qui étrangle tant la France que l’Italie et de nombreux pays d’Europe, il faudrait comprendre que c’est par l’affrontement et le démantèlement volontaire d’une bonne partie de ce cadre que l’on pourra faire changer les choses. C’est là que se situe la cohérence des politiques. Si l’on veut éviter que cela se fasse dans le chaos, il faut mettre en place de manière délibérée et réfléchie ce démantèlement avant que la crise n’éclate. Et l’on sent bien qu’elle couve, que ce soit en France ou en Italie.

Mais, il faut aussi que les oppositions à la politique d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe comprennent que, au-delà de divergences et d’oppositions qui peuvent être légitimes, elles ont aussi une responsabilité dans la situation actuelle. Car, la force du pouvoir d’Emmanuel Macron tient bien plus à la faiblesse et à l’impuissance politique de ses opposants qu’à une quelconque adhésion de la part des Français.

[1] London J. : Les Temps Maudits, publié en français par 10-18 / UGE, Paris ; la nouvelle La Force des Forts ouvre ce recueil.

Auteur Jacques Sapir pour Russeurope.hypothèse

 

Volti

10 Commentaires

  1. Macron n’émergera jamais en politique internationale pour une simple raison !
    En “haut lieu” , ils savent, tous, qui Macron représente ! 😉
    Et il est certain que ce n’est pas la France, et encore moins, les Français ! 😉
    En nommant Macron à la présidence de la France, les Rothschild se sont offert un strapontin à la table des “grands” !
    Macron défend l’ancien pouvoir financier, et rien d’autre !

    • Quelle naïveté de croire que les rothschild ont attendu d’avoir le micron en main pour être à la table des grands.
      Faudrait voir à lire un peu d’histoire, de temps en temps.

      • Les Rothschild veulent se débarrasser des politiciens et les remplacer par des banquiers.
        Pas très difficile à voir ! 🙂
        et, d’autre part, ils veulent se débarrasser de ” times square ” et de “Washington” et se replier sur la City à Londres, vraie raison du brexit ! 😉
        Cela ne se voit pas mais ils sont déjà depuis un certain temps en négociation avec la Russie & la Chine, raison pour laquelle la chine a stocké quelques tonnes d’or à la City également 😉
        En fait, les Rothschild ont deux fers au feu, soit, garder la main sur l’Europe par l’entremise de “Washington” et Trump, soit, abandonner Washington et prendre directement la main sur les pays européens.

      • Je crois que Moscou essaye de virer les Rothschild de la banque centrale de Russie. Leur emprise a déja été réduite mais pas complètement. Ils ont encore plus de 10% de la banque.

        Ils vont finir par y arriver, avec un petit coup de main de la Chine.

        PS: Ce qui serait interessant c’est de savoir qui contrôle effectivement la LLOYD. Pièce importante a la City mais dont personne ne parle jamais.

  2. Lorsqu’il invite Trump au défilé du 14 Juillet, cela me fait penser à un autre qui avait invité Kadhafi à ce même défilé !
    On a vu ce que cela a donné après ! 😉

  3. Je pense qu’il est illusoire aujourd’hui de se préoccuper encore de politique intérieure.
    Dans de nombreux pays, celle ci est entièrement définie par la finance internationale et donc, par la politique internationale !
    Cela sert encore à quoi de mettre du carburant dans le réservoir d’un moteur dont le carburateur est en panne ?
    A part noyer le moteur ! 🙁

  4. Une dictature est condamnée à réussir de l’extérieur et surtout de l’intérieur…. ou à périr.
    mais par essence, même, une dictature, en France, est toujours condamnée à brève échéance…. Surtout quand elle oublie les leçons du passé…

    http://wp.me/p4Im0Q-21E

    • Pour l’instant la dictature se porte fort bien en France, tant que les mougeons n’ont pas encore senti la marque du collier.
      Avec le nouveau centi-maître, ils risquent de plus le sentir passer.

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