Mistral : et si les Russes n’en voulaient finalement pas ?

La livraison de ces bateaux de guerre embarrasse la diplomatie française, mais indiffère globalement la partie russe, qui aimerait autant récupérer beaucoup d’argent…

L’ennui, avec une patate chaude, c’est qu’elle ne refroidit pas au fil des jours. François Hollande va vite s’en rendre compte, à la veille qu’il est de se brûler le bec dans l’affaire de la livraison du Mistral à la Russie. Début septembre, juste avant un sommet de l’Otan, où il allait rencontrer des alliés très remontés sur ce dossier, le président de la République avait, à son habitude, joué la synthèse. Expliquant d’abord que «les conditions [d’une livraison] n’étaient pas à ce jour réunies» à cause de l’intervention russe en Ukraine, il précisait le lendemain que «dès lors que les conditions sont réunies – c’est tout à fait possible aux mois d’octobre ou de novembre – les bateaux pourront être livrés». L’Elysée a gagné deux mois, mais le compteur a tourné et la brume (de l’oubli) n’est pas retombée sur Saint-Nazaire, comme feignaient alors de le croire certains. L’Elysée est au pied du mur. La décision «devrait être prise dans pas très longtemps», confie une source proche du dossier qui sait que «quoi que l’on fasse, la moitié du monde nous insultera». Deux experts américains, l’amiral James Stavidris, ancien patron de l’Otan en Europe, et Leo Michel, se font déjà une joie de rappeler dans le dernier numéro de Foreign Affairs que des missiles français ont coulé la frégate britannique Sheffield durant la guerre des Malouines et abattu un F-111 américain lors d’une frappe contre Kadhafi en 1986…

Alors que le contrat prévoyait une livraison du premier des deux bateaux, le Vladisvostok, au 31 octobre, on s’orientait ces derniers jours vers une décision favorable, en dépit des «pressions balto-pays de l’esto-américaines», selon le mot du même interlocuteur. Un revirement reste possible, comme un report de la décision, mais il est quasiment certain qu’elle ne concernera que le Vladisvostok, le sort de son sister-ship, le Sébastopol, étant renvoyé à l’an prochain, lorsqu’il sera achevé au chantier naval de Saint-Nazaire. Avant de prendre sa décision définitive, l’Elysée entend observer les suites des élections, ce dimanche 2 novembre, dans les zones de l’Est de l’Ukraine aux mains des séparatistes. Mais, à l’Elysée, le ton reste à la désescalade, comme l’a encore montré un entretien téléphonique, jeudi 30 octobre entre François Hollande, Angela Merkel, Vladimir Poutine et le président ukrainien Petro Porochenko.

Cette affaire du Mistral, François Hollande en a hérité de Nicolas Sarkozy, avec un contrat signé en janvier 2011. Depuis lors, et en particulier avec la crise ukrainienne, elle empoisonne la diplomatie française. A Moscou, on s’en délecte. Le Mistral est devenu une pomme de discorde au sein de l’Otan, entre Paris et les autres alliés, Etats-Unis en tête. «Les Russes savent que c’est le talon d’Achille de la diplomatie française, et ils en jouent», analyse Thomas Gomart de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Ils n’hésitent même plus à faire les farceurs, jetant de l’huile sur le feu comme ils l’ont fait la semaine dernière lorsque le vice-premier ministre Dmitri Rogozine a publié sur son compte Twitter le courrier du vice-président de DCNS Pierre Legros, invitant la partie russe à la cérémonie de livraison le 14 novembre à Saint-Nazaire. On apprenait même qu’un repas était prévu à bord à 12h45… Dans la soirée, DCNS – en plein salon Euronaval – a dû faire marche arrière, expliquant dans un communiqué que l’entreprise publique était toujours «en attente des autorisations gouvernementales d’exportation nécessaires». Si les rires résonnent encore dans les couloirs du Kremlin, l’agacement règne dans ceux de l’Elysée, où l’on assure n’avoir pas été prévenu de l’existence de ce courrier. «Un triomphe en matière de communication…», peste-t-on dans l’entourage du président.

Les experts sont unanimes : le Mistral est une affaire plus importante pour Paris que pour Moscou. «Ce n’est pas une question centrale pour eux, explique Thomas Gomart. Pas plus d’ailleurs que leur relation avec la France». Depuis Moscou, Arnaud Dubien, de l’Observatoire franco-russe, est encore plus catégorique : «Ils n’en ont rien à faire !» Pire que cela, la non-livraison par la France en arrangerait plus d’un dans l’entourage du Kremlin. Pour deux raisons : l’argent et la nationalisme. «“Ce serait une très bonne nouvelle”. Voilà ce que l’on entend dans les milieux proches du complexe militaro-industriel», poursuit Arnaud Dubien.

Le Kremlin a soigneusement préparé le terrain sur le plan juridique en confiant le dossier au cabinet d’avocats d’affaires Egorov Puginsky Afanasiev & Partners, à Moscou. En cas de non-livraison par Paris, une procédure d’arbitrage international sera aussitôt engagée et elle pourrait déboucher sur une facture très lourde pour la France. Avec les éventuelles pénalités de retard, les dédommagements et le remboursement des sommes versées par la Russie, la note pourrait monter jusqu’à 1,5 milliard d’euros. Plus cher que le fiasco de l’écotaxe. Cette somme colossale serait redistribuée entre les différents acteurs russes, via la société Rosoboronexport, et une partie pourrait être investie dans la modernisation des chantiers navals russes… Quant à la France, elle se retrouverait avec deux gros bateaux sur les bras, dont les spécifications techniques correspondent au besoin de la marine russe. Les réadapter pour des marines occidentales coûterait sans doute quelques centaines de millions d’euros supplémentaires, pour un besoin a priori inexistant.

A ces enjeux financiers s’ajouterait la victoire politique des milieux russes les plus nationalistes, car le contrat Mistral n’a jamais fait l’unanimité à Moscou. L’idée même d’acheter des équipements militaires à l’étranger, qui plus est à un pays membre de l’Otan, reste sur l’estomac de nombreux responsables russes. Les deux hommes qui ont conclu le contrat – le ministre de la Défense Anatoli Serdioukov et le chef d’état-major Nicolaï Makarov – ont été débarqués sans ménagement fin 2012. Une décision française de non-livraison renforcerait l’opinion de nombreux Russes selon laquelle il n’est pas possible de faire confiance aux Occidentaux, et qu’il faut poursuivre dans la voie de la confrontation plutôt que de l’apaisement. Ce serait donner raison au Kremlin et aux idéologues contre les milieux d’affaires et les libéraux.

Source : l’Opinion

Ender

24 Commentaires

  1. Mr Vladimir Poutine (un homme un vrai) pourquoi vous faire chier avec ces boites de conserves ??? votre nation est parfaitement capable de faire de telle navire contrairement à ce qui se dit !!! dite merde à la France !!! demander le remboursement à ce pays incapable de tenir ces engagements et d’une lâcheté sans nom (toutou des Américain).

    la France si on résume c’est offert un bateau de 1 milliard gratuitement !!! un la Russie la payer et deux elle essaye de le garder pour elle !!! pour des raison BIDON !!!

    la France un partenaire sans parole , sans dignité , sans avenir …

  2. Au final, je trouve quand même un peu bizarre que la Russie n’ait pas voulu construire elle-même ces bateaux au départ. Si Moscou avait voulu piéger Paris avec cette commande, c’est réussi ; on se retrouve bien à faire le grand écart entre notre appartenance à l’OTAN et nos intérêts diplomatiques et commerciaux.
    Or quand la Russie a commandé ces bateaux en 2011, les Ricains avaient déjà commencé à investir 5 milliards de dollars dans la démocratie en Ukraine, la crise en Syrie, les Printemps Arabes, la guerre en Lybie … Tout ça c’était déjà bien en route, il était plus ou moins prévisible que la France allait se retrouver en porte-à-faux.
    Donc au final, au mieux la Russie achetait des bateaux modernes, au pire elle mettait le dawa, récupérait son fric et 20 milliards d’Euros de pénalités et nous laissait avec un bateau et demi sur les bras … Et je vous rappelle que le “Vladivostok” n’est pas encore complet, il manque pas mal de systèmes. Si on le garde, il va encore falloir l’équiper … L’addition va être franchement douloureuse, en ces temps de réduction des budgets …
    Poutine voulait-il vraiment acheter ces bateaux ?

    • les Ricains avaient déjà commencé à investir 5 milliards de dollars dans la démocratie en Ukraine…

      Trop drôle cette phrase !

    • Bien sûr, qu’il les voulait, sinon il n’auraient pas payés.
      Mais pourquoi les faire construire par la France ?
      Pour acquérir des technologies,peut être, ou alors leurs chantiers navals sont trop occupés…
      La Russie avait confiance en la France, maintenant c’en est fini, voilà ce qui arrive quand on est de simples valets, pour les américains.https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_unsure.gif

  3. Ben, il faut se rappeler l’état dans lequel Sarkozy se trouvait lorsqu’il a signé ce contrat !
    Complétement bourré ! https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_unsure.gif
    http://www.youtube.com/watch?v=cNPXi4R5f3A

    • Pour bien s’en rendre compte, il faut voir sa
      prestation complète, Ça peut le rendre un peu plus
      “humain”, puisqu’il n’est pas immunisé contre une cuite.giggle
      Là où on peut s’inquiéter, c’est s’il y a des signatures importantes
      qui engagent notre pays…

      • Un p’tit Hoax, tout de même ! https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_cry.gif
        La vidéo date de 2007 et la signature du contrat a été faite, apparement en 2011.
        Il a eu le temps de déssouler entre temps, je suppose ! https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_smile.gif

  4. Dans cette affaire ce qui est malheureux au premier chef, c’est la situation qu’elle engendre pour les salariés des chantiers navals.

    Ensuite cela va considérablement compliquer la tâche de nos industriels.
    Leurs interlocuteurs étrangers étant fondés à se demander ce qu’il deviendra des termes de la négociation, si le GVT US décide de mettre son nez dans la transaction.

    Enfin entre un gouvernement russe qui sait ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas, notre GVT donne l’image d’une bande de pieds nickelés qui gouverne au petit bonheur la chance.

    Hors comme l’affirmait Jean Bart:”La chance sourit aux audacieux” ; pas aux poules mouillées.

  5. – kiki ??

    c’est kiki,ma cafetière..

    recyclez vos appareils..

    https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_wacko.gif

  6. Bonjour les moutons. Ce serait drôle si les russkoff refusaient la livraison ! La France serait prête à lever une armée pour demander des dédommagements à Washington ?! Après tout, elle n’a fait qu’obéir aux ordres !
    Lien dans la caillasse du jour : Au G20 : boire la tasse pour faire passer les couleuvres ?

  7. Les Russes parlent du « Mistral »:
    http://fishki.net/link/1328540

    Et oui, entre amis on peut dire:
    “tu as changé d’avis, pas de problème, tu reprends tes billes et moi les miennes, tu me donne un petit quelque chose et on en parle plus”.
    Mais à quelqu’un qui cherche à rejouer le coup de Kadhafi à vos dépends on peut pas dire cela.

  8. Australie, 1975 : le coup d’État oublié ou Comment les parrains gouvernent, de Canberra à Kiev

    Edward Gough Whitlam est mort le 21 Octobre 2014 à 98 ans. Il fut le 21ème Premier ministre d’Australie, en poste de 1972 à 1975. Dirigeant du Parti travailliste de 1967 à 1977, il amena son parti au pouvoir pour la première fois depuis 23 ans Il gagna de nouveau les élections en 1974, avant d’être démis de ses fonctions par le Gouverneur général d’Australie en 1975, au plus fort de ce qu’on a appelé la crise constitutionnelle. Whitlam reste le seul Premier ministre australien de l’histoire à avoir été démis de ses fonctions par le représentant de la Reine.
    John Pilger raconte ce « coup d’État soft ».
    Whitlam exigea de savoir si la CIA dirigeait une base d’espionnage à Pine Gap, près d’Alice Spring, apparemment une « installation » australo-US. et, si oui, à quoi elle servait. Pine Gap est un aspirateur géant, qui, comme le lanceur d’alerte Edward Snowden l’a récemment révélé, permet aux USA d’espionner tout le monde. En 1970, la plupart des Australiens n’avaient aucune idée du fait que cette enclave étrangère secrète plaçait leur pays sur la ligne de front d’une guerre nucléaire potentielle avec l’Union soviétique. Withlam connaissait clairement le risque personnel qu’il prenait, comme le démontrent les procès-verbaux de rencontres avec l’ambassadeur US.
    Les messages top secret de Pine Gap étaient décodés en Californie par un sous-traitant de la CIA, la TRW. Une des personnes qui y travaillait, Christopher Boyce, un jeune idéaliste perturbé par les « surprenantes tromperies et trahisons d’un allié », devait devenir un lanceur d’alerte. Boyce révéla que la CIA avait infiltré l’élite politique et syndicale australienne et parlait du Gouverneur général de l’Australie, Sir John Kerr, comme « notre homme Kerr ».
    Kerr était l’incarnation de l’Empire. Il était le Vice-roi de la reine d’Angleterre en Australie, un pays qui la reconnaissait encore (et la reconnaît toujours) comme son chef d’État. Sa charge était protocolaire. Pourtant, Whitlam (qui l’avait nommé), n’était pas informé, ou avait choisi d’ignorer ses liens de longue date avec les services de renseignement anglo-US.
    En 1975, Whitlam prit connaissance d’une liste secrète de gens de la CIA, liste dans les mains du Chef permanent du Département de la Défense, Sir Arthur Tange, un mandarin profondément conservateur, détenteur d’un pouvoir territorial sans précédent à Canberra. Whitlam demanda à voir la liste. Sur celle-ci, on trouvait le nom de Richard Stallings, qui, sous couverture, avait mis en place Pine Gap, de fait une installation de la CIA. Whitlam avait maintenant la preuve qu’il avait cherchée.
    Le 10 novembre 1975, on lui montra un message télex top secret attribué à Theodore Shackley, le chef de la CIA à la Division Asie orientale et l’un des personnages les plus célèbres que l’agence ait engendrés.
    Le message de Shackley fut lu à Whitlam. De façon incroyable, il disait que le Premier ministre d’Australie représentait un risque de sécurité pour son propre pays.
    Le 11 novembre 1975, le jour où Whitlam allait informer le parlement au sujet de la présence secrète de la CIA en Australie, il fut convoqué par Kerr. Invoquant des « pouvoirs réservés » vice-régaliens d’un autre âge, Kerr démit de ses fonctions le Premier ministre démocratiquement élu. Le problème était résolu.
    Lors d’entrevues réalisées durant les années 1980 avec le journaliste d’investigation Joseph Trento, des agents hauts placés de la CIA dévoilèrent que le « problème Whitlam » avait été discuté « dans l’urgence » par le directeur de la CIA, William Colby, et le chef du MI6, Sir Maurice Oldfield, et que des « arrangements » avaient été conclus. Un directeur adjoint de la CIA a déclaré à Trento : « Kerr a fait ce que l’on lui a dit de faire ».
    http://blogapares.com/australie-1975-coup-detat-oublie-comment-les-parrains-gouvernent-canberra-kiev/

  9. Mince personne ne se souviens du nom de la personne qui a signé le contrat coté Russe.(c’est normal)
    Ni du parfum de corruption qui a trainé en russie.
    et là ce n’est pas normal.
    Les russes ne veulent pas d’un bateau que fige par -7°.

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