Ukraine : après la désescalade diplomatique, la guerre économique

Le revers diplomatique essuyé par Washington sur la question de la Crimée ne signe pas pour autant la fin de la guerre souterraine contre la Russie. La crise Ukrainienne sert en effet de prétexte aux états-unis pour relancer l’OTAN de manière agressive et pour repositionner la Russie comme « ennemi numéro 1 » dans sa rhétorique propagandiste. Dans cette optique, les sanctions économiques promues par Washington et les injonctions adressées à l’UE de se libérer de la dépendance au gaz Russe constituent les premiers éléments de la guerre économique déclarée à la Russie.

Conscient de l’irréversibilité de l’occupation de la Crimée et de l’impuissance combinée des Europe et États-Unis 1, Obama s’est résolu à accepter le fait accompli. Il s’est entretenu le 28 mars soixante minutes d’affilées avec son homologue russe. Celui-ci avait pris l’initiative de cet échange téléphonique pour donner à l’Américain tous les apaisements possibles quant au respect de la frontière ukrainienne par les forces armées de la Fédération de Russie. Frontières où se seraient trouvés massés quelque cent mille hommes selon Kiev… et vingt mille selon le Pentagone !

Au même moment le challenger malheureux d’Obama dans la course à la présidence, le vibrionnant néoconservateur John McCain que l’on avait vu sur le Maïdan à la mi décembre 2013 haranguer rageusement la foule, réclamait vigoureusement l’envoi à l’Ukraine par les États-Unis et l’Otan « d’armes, des munitions ainsi que des systèmes antichars et anti-aériens ». L’un souffle le chaud, l’autre le froid !

Comme il sied de croire aux profondes inquiétudes de la Maison-Blanche – au moins est-il recommandé de faire semblant, une manière de politesse – nous n’aurons pas la désobligeance de croire que cette « désescalade » n’est pas un élégant artifice diplomatique destiné à sortir le président américain de l’impasse géopolitique où il s’était personnellement fourvoyé… de l’art subtil du double langage et des actes contredisant les paroles ! Entre la réunion à la Haye d’un « G7 extraordinaire destiné à peaufiner la riposte occidentale à l’annexion russe de la Crimée » quatre jours plus tôt et cette conversation sur ligne directe, le changement de cap aura été impressionnant 2.

En effet, dans les heures qui suivirent l’entretien du 28, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, devait à son tour développer l’idée d’une « coopération internationale en vue d’une stabilisation de la situation » ukrainienne : « Nos points de vue se rapprochent. Ma dernière rencontre avec le secrétaire d’État américain John Kerry à La Haye et mes contacts avec l’Allemagne, la France et d’autres pays montrent que s’esquisse la possibilité d’une initiative commune qui pourrait être proposée à l’Ukraine » 3. Deux jours plus tard, dimanche 30 mars, Lavrov rencontrait à Paris son homologue américain après avoir déclaré « Si nos partenaires sont prêts, alors la Russie, les États-Unis et l’Union européenne pourraient former un groupe de soutien à l’Ukraine et lancer un appel conjoint à ceux qui sont maintenant au pouvoir à Kiev » 4.

Désescalade et déplacement du conflit

Mais en Ukraine la situation, loin d’être stabilisée, évolue toujours dangereusement : à la crise politique qui a conduit à la destitution du président légitime, Victor Ianoukovitch, puis à la crise militaro-diplomatique de Crimée, conséquence directe de la première… succède à présent une crise plus grave et plus profonde encore, celle de la dette qui est aussi celle de l’énergie au regard des pharamineux impayés au créancier russe Gazprom [1,8 md de $]. Une situation paradoxale pour un pays aussi riche de ses terres et de son sous-sol mais dont « actuellement 60% environ des recettes fiscales ne rentrent pas dans les caisses de l’État, soit qu’elles ne sont pas perçues, soit qu’elles sont retenues par les autorités locales, si bien que le déficit budgétaire – sur la base des deux premiers mois de l’année 2014 – atteint les 10% du PIB. Or il n’avait été que de 4,3% l’an dernier » 5.

Ainsi donc, à la guerre des mots, et aux gesticulations armées, succèdent sur le devant de la scène ukrainienne d’autres facteurs de déstabilisation dont les incidences ne manqueront pas également de modifier par voie de conséquence le paysage des relations intra européennes et euratlantiques. En fait, l’affrontement, loin d’être terminé, va se déplacer et se prolonger sur d’autres secteurs, dans d’autres domaines certes moins spectaculaires, mais grâce auxquels ou par le truchement desquels Washington est loin d’avoir dit son dernier mot… Ne faut-il pas en tout état de cause savoir, au moment opportun, effectuer des retraits tactiques à partir de positions intenables afin de mieux exploiter ensuite et à son profit de nouvelles configurations de terrain ?

Pour ce qui est de crise criméenne, il appert que la surenchère militaire ne menait nulle part. Comme effectivement « à toute chose malheur est bon » Washington ne pouvait et ne peut, en aucun cas, perdre sur tous les tableaux… car la situation nouvelle instaurée par l’annexion de la Crimée ouvre incontestablement un vaste champ de bons prétextes permettant de donner un grand coup d’accélérateur au resserrement des relations transatlantiques, notamment économiques, mais pas seulement, et plus particulièrement « énergétiques ». Tout en poursuivant sous d’autres formes une politique – jamais démentie depuis 1947 6 – de « contention » de la puissance émergente russe [containment]. Désormais il ne s’agira plus seulement d’un provocant bouclier anti-missiles déployé en Mer Baltique et en Europe orientale prétendument destiné à contrer d’hypothétiques vecteurs balistiques iraniens, mais d’une guerre économique et énergétique condamnée à demeurer largement et longtemps inaperçue des opinions publiques occidentales.

L’Amérique grand bénéficiaire de la crise Russie vs Occident

Première conséquence, immédiatement visible celle-là, de la crise conflictuelle Russie vs États-Unis à propos de l’Ukraine : le resserrement sécuritaire de l’Alliance atlantique. Le diable islamiste ayant fait long feu, cela quel que soit son résiduel pouvoir marginal de nuisance il fallait d’urgence trouver un nouvel épouvantail 7… parce que la menace salafiste est en réalité aujourd’hui devenue, hors de quelques banlieues extraterritorialisées, de moins en moins crédible. Surtout depuis que les foules occidentales se sont convaincues que la tragédie du 11 Septembre 2001 aurait de fortes chances de n’être qu’un « inside job » masquant une sorte de coup d’État… lequel devait permettre toutes les guerres injustifiables de la dernière décennie.

En l’occurrence le nouveau « diable » – selon la présentation quotidienne que nos médias nous en font – sera incarné par la Russie poutinienne, dite homophobe, anti-oligarchique et souverainiste… qui plus est réputée expansionniste, néo-impérialiste et annexionniste. N’accuse-t-on pas ici en France le président russe d’être « un nostalgique de l’époque soviétique faisant du révisionnisme quant aux frontières de 1991 afin retrouver une plus grande patrie » 8 ? Ceci faisant écho à ce que pense et en dit le président roumain Traian Basescu : « Ce qu’on a vu en Crimée pourrait être un scénario pour la Moldavie… Nous ne pouvons donc pas rester indifférents. L’objectif du président Poutine est de rétablir les frontières de l’Union soviétique ». Horresco referens !

L’occasion de resserrer sous la houlette de l’Otan les rangs des frileux européens était indéniablement trop belle pour la laisser passer. Il est à ce sujet d’ailleurs hautement emblématique que ce soit à l’occasion d’un sommet relatif à la Sécurité nucléaire que le président Obama soit venu battre le rappel de ses troupes [note1]. Ne perdons jamais de vue que, tandis que le Pacte de Varsovie – né en 1951 de la Guerre froide, en réponse au Pacte de l’atlantique nord [1949] – s’est auto-dissout le 1er juillet 1991 à Prague, au contraire de l’Otan qui a perduré… tant et si bien qu’en 1999 la majeure partie de ses membres avaient rejoint l’Alliance euratlantique réduisant à néant l’ancien glacis soviétique jusqu’à menacer très réellement les frontières de la nouvelle Russie. Cependant et a fortiori, constater la consolidation des liens transatlantiques de Sécurité collective à l’occasion de la crise ukrainienne, ne doit pas limiter notre analyse au seul point de vue géostratégique. Une guerre pouvant en cacher une autre, moins apparente… voire quasiment invisible.

Faut-il rappeler et insister sur ce fait d’évidence que la guerre globale pour l’Unification du Marché universel, se déploie dans et sur de multiples dimensions ? À l’intérieur et à l’extérieur des nations qui s’y trouvent impliquées. Guerres souterraines les unes moins que les autres anodines… les guerres actuelles étant à ce titre prioritairement économique et revêtent, en fonction des besoins et des circonstances différentes formes et divers aspects : guerre de l’information, propagandes, rumeurs, guerre des représentations avec les industries de « l’opium virtuel pour tous » [Entertainment], cyberguerres, guerres financières et boursières, espionnage industriel à grande échelle, détournements des compétences et des savoirs-faire, et cætera… la liste est longue et ici, loin d’être exhaustive.

Lire la suite sur le site source : Comité Valmy

 

Ender

3 Commentaires

  1. Si ça se trouve, la crise ukrainienne a été fomentée dés le départ dans ce but … Couper l’Europe de la Russie, affaiblir l’Euro en lui collant un nouveau canard boiteux, relancer l’OTAN et les ventes d’armes aux “alliés”, boucler le TAFTA et rendre le gaz de schiste rentable pour prévenir l’éclatement d’une bulle boursière du secteur et sauver le Dollar ?

    https://lesmoutonsenrages.fr/2013/02/19/la-bulle-des-gaz-et-petrole-de-schiste-va-bientot-eclater/

    Auquel cas, Poutine aurait remporté une belle victoire tactique, mais pas stratégique … Encore que ? Quand le Dollar tombera, il entraînera l’Europe dans sa chute d’autant plus facilement qu’elle sera intégrée à l’économie US. La Russie n’aurait alors plus qu’à ramasser les miettes.

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