« Ils mentent ! » : le seul agriculteur qui ait fait condamner Monsanto revient sur son histoire

payl_francois© Photo DR
Dans quelques semaines, se tiendra le procès en appel intenté par Paul François contre Monsanto.

Il en a gardé des séquelles neurologiques, et ne peut plus aujourd’hui travailler qu’à mi-temps. Il y a tout juste dix ans, Paul François, agriculteur quadragénaire de Charente, s’intoxiquait en utilisant un désherbant fabriqué par Monsanto. Après de longs séjours répétés à l’hôpital, ce père de famille décide l’impensable : il va attaquer en justice la multinationale américaine. Rien que ça ! Même ses collègues tentent de l’en dissuader… Mais qu’à cela ne tienne, Paul François met la machine judiciaire en route. Et gagne… Celui qui est aujourd’hui à la tête de Phyto-victimes, une association qui vient en aide aux agriculteurs victimes de pesticides, revient pour nous sur son histoire.

Une après-midi ensoleillée comme une autre, en ce 27 avril 2004 dans le village de Bernac, au Nord de la Charente. Paul François, exploitant céréalier propriétaire de 240 hectares, vient de répandre un puissant herbicide sur son champ de maïs. Afin de s’assurer que la cuve du pulvérisateur a été rincée correctement, il se penche…

Mauvaise idée. La cuve, restée en plein cagnard durant toute l’après-midi, est chauffée à blanc. A l’intérieur : 70 à 80°C. Les traces du désherbant restantes – du Lasso, fabriqué par Monsanto – se sont transformées en gaz sous l’effet de la chaleur. Coma. Amnésie. Re coma. Des mois d’hospitalisation… Aujourd’hui, Paul François ne peut plus travailler qu’à mi-temps.

Il a bataillé des mois pour que soit établi le lien entre ses problèmes de santé et le désherbant de Monsanto, les médecins s’entêtant dans un premier temps à extrapoler toutes autres sortes d’explications – il fut même suspecté de toxicomanie ! Il décide de lancer une procédure en responsabilité civile contre Monsanto. Il est le premier en Europe à entreprendre une telle démarche – aux Etats-Unis, des actions de groupe ont abouti à des procès.

L’audience a lieu en décembre 2011 à Lyon, siège de la filiale française du géant américain. Un an plus tard, le tribunal reconnaissait la responsabilité de la multinationale dans l’intoxication de l’agriculteur. « Le pot de terre a vaincu le pot de fer », commente aujourd’hui Paul François. Le combat n’est pour autant pas terminé pour ce père de famille, aujourd’hui à la tête de l’association Phyto-victimes, créée en 2011 pour venir en aide aux agriculteurs victimes de pesticides : Monsanto a fait appel.

Entretien avec Paul François, qui nous aide à comprendre pourquoi l’utilisation de pesticides continue à faire des ravages chez les agriculteurs dans un silence presque complet.

JOL Press : Quel est le nombre ou la proportion d’agriculteurs dont la santé est affectée par l’usage de pesticides ?

Paul François : Il est très difficile de le savoir. Cela pour plusieurs raisons. La première tient au fait que pour pouvoir établir qu’un agriculteur est atteint d’une pathologie liée à l’utilisation de pesticides, il faut qu’il y ait reconnaissance d’une maladie professionnelle. Or, il y a encore quelques années, aucune pathologie liée aux pesticides chez les agriculteurs n’était reconnue comme maladie professionnelle.

Les choses commencent à évoluer. La maladie de Parkinson a été reconnue comme telle il y a deux ans – beaucoup d’agriculteurs jeunes en sont atteints. Il est question aujourd’hui d’inscrire également les leucémies et certains lymphomes. La deuxième raison pour laquelle il est compliqué de connaître le nombre d’agriculteurs malades à cause de l’usage de pesticides, c’est que les principaux intéressés eux-mêmes n’en parlent pas…

Reste que, à Phyto-victimes, au vu des appels quotidiens que l’on reçoit, on estime qu’il doit y avoir des milliers d’agriculteurs affectés plus ou moins gravement par l’utilisation des pesticides.

JOL Press : Pourquoi est-ce un sujet tabou chez les agriculteurs ?

Paul François : Il y a certaines pathologies dont il est plus gênant de parler. J’ai à l’esprit cet homme de 40 ans qui, après l’ablation de la prostate qu’il avait subie en raison d’un cancer, m’a dit: « On m’a volé ma vie d’homme. »

Il y a souvent aussi un sentiment de culpabilité. Pendant des années, les fabricants de pesticides nous tenaient un discours très rassurant sur l’inocuité des produits : ceux-ci étaient homologués, ils étaient de vrais « médicaments » pour les plantes, etc. Résultat, les agriculteurs ne se protégeaient pas, travaillaient à mains nues. Et aujourd’hui, ils se sentent coupables de ne pas avoir fait plus attention.

Il y a ensuite tous ceux qui continuent à penser que « c’est le prix à payer ». Et enfin ceux qui craignent une « mauvaise publicité », les agriculteurs étant souvent déjà mal vus des consommateurs pour leur impact sur l’environnement.

JOL Press : Qui entretient ce discours ?

Paul François : Les firmes ! Les fabricants prétendent que si les agriculteurs respectent toutes les préconisations de protection, ces derniers n’ont aucune raison de tomber malades. Or c’est un énorme mensonge : ils savent pertinemment que ce qui est préconisé est inapplicable !

JOL Press : Même si ces mesures de protection étaient applicables, ne seraient-elles pas illusoires, dans la mesure où les techniques de traitement font que les produits sont volatiles ?

Paul François : Absolument. C’est notamment l’immense problème des perturbateurs endocriniens. Des médecins, comme le Dr Sultant au CHU de Montpellier, ont bien montré qu’il y a de plus en plus dans le milieu agricole de cas de maladies enfantines, comme des leucémies foudroyantes, et des enfants nés anormaux.

Il est aisé de comprendre que les épouses d’agriculteurs, qui ont pu participer aux travaux d’exploitation et donc être en contact avec les pesticides, les ont par la suite transmis via le cordon ombilical à leur bébé lors de la grossesse, ou après, lors de l’allaitement.

Par ailleurs, vous avez de très nombreux villages qui se trouvent au milieu de vignes ou d’arbres fruitiers. Il y a donc des écoles, des villages qui peuvent recevoir à leur insu les embruns des pesticides utilisés à haute dose dans la viticulture et l’arboriculture. Le problème des perturbateurs endocriniens est une bombe à retardement.

JOL Press : Les agriculteurs sont-ils conscients des dangers des pesticides sur leur santé ?

Paul François : Il ont en majorité conscience que la chimie telle qu’elle est utilisée dans l’agriculture aujourd’hui peut avoir des conséquences négatives pour l’environnement et le consommateur. Ils commencent aussi à réaliser que l’utilisation de ces pesticides peut endommager leur propre santé et celle de leurs proches (encore 20% des agriculteurs utilisant des pesticides ne prennent toutefois aucune précaution au moment de leur emploi (travail à mains nues, pas de masque…), selon une étude de la protection sociale agricole).

L’exemple des agriculteurs qui ont commencé à réduire leur usage de pesticides devrait les encourager. Ceux qui ont atteint l’objectif de 50% d’utilisation de pesticides sur leur ferme continuent à produire autant ou quasiment autant que ceux qui continuent à utiliser les pesticides de manière intensive. Leurs marges économiques sont souvent meilleures.

Ce qui serait aujourd’hui une grande décision politique serait de décider que, d’ici quinze ans, toute la chimie utilisée dans l’agriculture soit de la chimie « propre ».

JOL Press : Vous avez gagné en première instance votre procès contre Monsanto. Qu’est-ce que cette victoire signifie pour vous ?

Paul François : Elle prouve que le pot de terre peut vaincre le pot de fer. Si l’on est dans son bon droit, il faut être tenace, la justice fonctionne.

Elle permet également de montrer à mes collègues agriculteurs qu’on ne peut pas faire confiance aux fabricants. Le produit qui m’a empoisonné, le Lasso de Monsanto, avait été retiré dès les années 1980 du marché de nombreux pays. Cela n’a été fait en France qu’en 2007. Or ce qui est dangereux pour un Canadien ou un Américain doit l’être aussi pour un Français, non ?

La firme, sans aucun scrupule, nous a laissés utiliser un produit qu’elle savait dangereux. Elle vous répondra qu’elle n’avait aucune raison de le retirer du marché français puisqu’elle respectait la législation hexagonale. C’est vrai… Mais cela signifie donc que lorsqu’une firme aujourd’hui soutient que ses OGM sont sains et vont permettre de nourrir la planète, elle sait peut-être, en réalité en interne, qu’ils sont cancérigènes.

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Benji

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