La biopiraterie au service des firmes transnationales..

Sous couvert de protection de la santé, la Commission européenne a proposé un paquet législatif visant à « moderniser » la filière agroalimentaire avec notamment un renforcement du contrôle sur les semences et les plantes. Mais en matière de biodiversité, les réglementations peuvent vite tourner au profit des pirates du vivant.

L’annonce avait soulevé l’indignation des amateurs de jardinage. Le lundi 6 mai dernier, la Commission européenne adoptait trois nouveaux règlements sur les semences, la santé des plantes et les contrôles. La peur de voir jetés dans l’illégalité les jardiniers qui cultivent à partir de graines non réglementées avait provoqué de vives réactions.

La commission européenne s’est empressée de lever les inquiétudes en précisant que « l’utilisation de semences dans les jardins privés n’est pas régie par la législation de l’UE et les jardiniers amateurs pourront continuer à acheter tout type de matériel végétal et à vendre leurs semences en petites quantités ».  

Toutefois, si les jardiniers amateurs sont rassurés, ce n’est pas le cas de certains agriculteurs. Le réseau Semences paysannes dénonce un « hold-up » sur les semences « soigneusement caché sous des centaines de pages de jargons réglementaires ». Cela nous rappelle l’enjeu crucial que représente la biodiversité dans l’économie mondiale.

La guerre des semences : de Christophe Colomb à Monsanto

En 1493, Christophe Colomb revient en Espagne avec quelques graines de maïs. C’est le début de vastes transferts de plantes et d’animaux dont le Vieux continent sera largement bénéficiaire : les explorateurs rapportent de leurs expéditions haricots, pommes de terre, courges et patates douces, qui serviront le développement des nations européennes.

Avec la Révolution industrielle, le matériel végétal devient une ressource stratégique de première importance. Les puissances coloniales organisent la collecte de patrimoine génétique et se livrent à une guerre sans merci pour le contrôle des semences.

Symbole de cette lutte, les Néerlandais détruisent tous les muscadiers et girofliers présents aux Moluques, un archipel de l’Est de l’Indonésie, à l’exception de ceux qu’ils cultivent eux-mêmes. L’accumulation de ressources génétiques au Nord (riche mais génétiquement pauvre) n’a jamais cessé, souvent appuyé par des interventions militaires. C’est un conseiller agricole de l’US Army qui rapporte du Japon en 1946 le blé Norin 10, permettant une meilleure mécanisation et une augmentation des rendements.

Dès le début du 20ème siècle, les firmes semencières privées ont rejoint les États dans la mêlée. Selon un rapport produit par des organisations suisses en 2012, Monsanto détient 36 % des variétés de semences de tomates enregistrées à l’Office des variétés végétales de l’UE et 49 % de chou-fleur. La société suisse Syngenta détient quant à elle 26 % des variétés de tomate et 22 % des variétés de chou-fleur. Ensemble, Monsanto et Syngenta possèdent déjà plus de 50 % des variétés de ces deux légumes.

La biopiraterie désigne cette appropriation privée de ressources génétiques, la plupart du temps au profit de firmes transnationales, pour les breveter et commercialiser les produits qui en sont issus. C’est étroitement lié à la question des brevets et de la propriété intellectuelle. Il s’agit de prendre le contrôle de la connaissance accumulé par des siècles d’innovation collective. Et ce processus peut tout à faire être légal.

Brevets : les clôtures du 21ème siècle

La biodiversité a longtemps été considérée comme un bien commun, donc gratuit. Une espèce locale turque de blé a permis d’améliorer génétiquement les variétés états-uniennes pour qu’elles résistent à la rouille jaune, une maladie due à un champignon. On estime que cet apport génétique représente un gain annuel de 50 millions de dollars pour l’économie des États-Unis. Les brevets donnent donc une valeur monétaire à des choses qui n’avaient pas de prix auparavant, ouvrant la voie à une appropriation privée des ressources naturelles.

Ce processus est assimilé au mouvement des enclosures dans l’Angleterre du 18ème siècle, décrit par l’économiste et anthropologue Karl Polanyi : entre 1727 et 1815, le Parlement anglais adopte près de 5 000 lois autorisant l’édification de clôtures délimitant les parcelles. Le système de l’open field cède la place à un système de parcelles individualisées, accroissant ainsi le rendement de la terre mais privant les paysans pauvres de leur droit d’usage. Cette appropriation historique et violente de la terre a été selon beaucoup d’économistes une condition du développement du système économique actuel.

« Soyez des marchands plutôt que des victimes »

Le système se heurte cependant à ses propres limites à mesure qu’il prend de l’ampleur. L’essor des biotechnologies, le phénomène de concentration dans l’industrie semencière et les mouvements sociaux ont abouti dans les années 1980 à l’émergence d’un véritable conflit géopolitique autour de la question de la biodiversité. En 1992, le sommet de Rio marque un tournant. La Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée à ce moment affirme le droit souverain des États sur leurs ressources biologiques mais avalise une conception marchande en consacrant le concept de « partage des bénéfices ».

Or, même si les « communautés autochtones et locales » déposent des brevets, elles n’ont pas les moyens (financiers, juridiques, techniques) de les défendre. D’autre part, cela pose la question de savoir qui sont les propriétaires légitimes puisque les inventions sont collectives et partagées entre différentes communautés et parfois entre différents pays.

Pour la journaliste mexicaine Silvia Ribeiro, cela revient à dire aux communautés : « Soyez des marchands plutôt que des victimes, et faites-le avant que vos voisins ne le fassent ». Dans ces conditions, la CDB ne permet pas de lutter contre la biopiraterie. Jouer à un jeu avec celui qui a inventé les règles, c’est être condamné à perdre.

 

Un excellent article de Guillaume Tarantini, déniché par Guillaume, publié par lejournalinternational.fr et relayé par Jacques pour SOS-planete

 

Volti

8 Commentaires

  1. Vers 1980-82 (?) il y eut un numéro spécial du Canard Enchaîné sur les multinationales de la semence et de l’hybridation … A l’époque personne évidemment ne s’intéressait à cela, et pour cause, parler de Bio était “réac” ou “bourgeois” pour trop de cervelles portées sur “les vrais problèmes”…
    J’avais remarqué qu’en Normandie encore vers 1960 on avait une production très décentralisée de semences potagères, cantonale… Et que vingt ans après on était passé complètement à l’échelle nationale, puis européenne ( petits ognons de hollande etc…)
    Il y a des chiffres qui devraient faire réfléchir les ânes : 25% des salades mangées en France viennent de petits jardins privés! Mais les esprits sont loin d’être mobilisés : Il y a quelques années j’ai invité des campeurs à ramasser des fraises pour leur dessert… Réflexion de la dame : elles ne sont pas propres vos fraises, il y a de la terre dessus…
    Il faut vraiment sauver ces gens-là ?

  2. Lol mais 100% ++ “Il y a quelques années j’ai invité des campeurs à ramasser des fraises pour leur dessert… Réflexion de la dame : elles ne sont pas propres vos fraises, il y a de la terre dessus…” … il y a de la terre dessus !! 😀 comme les salades, les patates, les carottes etc !! … c’est un des symptomes de la maladie que transportent les populations urbaines …

    … les radies aussi !! … et faudrait pas qu’ils nous voient répandre le fumier/composte … la cendre de nos feux de cheminées d’hiver … là, ils tombent par-terre !! 😀

  3. Impossible de mesurer le fossé qui sépare les citadins des paysans. Une petite parisienne de 12 ans n’avait jamais vu une vache de près, un jeune couple lyonnais ignorait que les haricots verts font des fleurs, les enfants dessinent des rectangles jaunes à la place de poissons… La liste est encore longue.
    Pour les légumes brut du jardin, bien sûr, il y a de la terre, des petites bêbêtes, mais c’est la nature !
    Ceux qui en sont coupés et parfois fiers de l’être, vont avoir du mal à s’y mettre…

    • … sur certaines boites de lait … il était inscrit : ” lait de montagne” !!! pas une vache sur la boite … même dessiné … donc ” MAMAN ?? c’est la montagne qui fait du lait ??” … pat&tic …

  4. Vos histoires me rappellent celle-ci:

    Il s’agit d’une jeune dame à qui qqn avait offert un citronnier dans un pot pour son anniversaire. Et il était bien fournit en fruits.
    Quelqu’un de la fête lui dit :
    « Ah c’est bien, si tu le gardes au chaud, tu pourras consommer les citrons! »

    Réponse : « T’es folle! Ils ne sont même pas traités, je ne mange pas ça moi! »

    Comme dit Vieuxtaxi :
    Il faut vraiment sauver ces gens-là ?

    Ce sont des moutons (et encore c’est pas gentil pour les moutons) et la sélection naturelle fera son office.
    Survivront (enfin je l’espère) ceux qui réfléchissent un peu plus !
    … Les autres crèveront intoxiqués!

  5. http://www.franceinter.fr/emission-service-public-coup-de-semence-le-business-des-graines-le-champ-des-problemes
    Un des intervenants est du GNIS et j’ai trouvé assez puant son discours

    http://www.gnis.fr/index/action/page/id/257/var/PRUDENS%20PURPLE/esp/TOMATE
    Sur leur catalogue officiel la tomate prudens purple est qualifiée de “sans valeur intrinsèque”. Les auteurs de ce catalogue officiel n’en ont jamais goûté, c’est une tomate divinement bonne qui n’a rien à voir avec ce qu’on trouve sur les étals des grandes surface et ceux de 80% des vendeurs de fruits et légumes qui se fournissent aussi à Rungis

    Celui qui s’avisera de me dire ce que j’ai le droit ou non de cultiver devra d’abord être vacciné contre les coups de bêche…

  6. A ceux qui ne savent pas quoi faire fin août début septembre je recommande chaudement ces manifestations :
    http://infos.tomates.over-blog.com/article-fete-de-la-tomate-sambreville-2013-115650906.html
    et
    http://des-paysages-des-jardins-et-des-hommes.over-blog.com/article-8e-fete-de-la-tomate-et-des-legumes-anciens-118587710.html
    Si l’administrateur pouvait faire une petite annonce…

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