Grandeur et décadence de la plus vieille banque du monde

C’est aussi cela, la fin d’un système, et surtout d’un système financier. Le souci, c’est ce qu’il y aura “après”.

Le Palazzo Salimbeni (XIVe s.), siège de la banque Monte dei Paschi, à Sienne (Italie)

Le Palazzo Salimbeni (XIVe s.), siège de la banque Monte dei Paschi, à Sienne (Italie)

Fondée en 1472, la banque Monte dei Paschi a contribué à hisser Sienne en tête du classement des villes pour sa qualité de la vie et sa bonne gouvernance. Mais le scandale politico-économique qui a éclaté autour de “MPS” pourrait marquer la fin d’un système et même, d’une époque.

“Sienne est rouge, mais de honte” : devant un café, un fin connaisseur des affaires siennoises commente les pertes abyssales de la banque Monte dei Paschi. Il faut dire que depuis presque sept cent ans, les Siennois ont devant les yeux la meilleure représentation qui soit des états d’âmes de leur ville : les Effets du bon et du mauvais gouvernement, la série de fresques d’Ambrogio Lorenzetti [qui ornent le Palazzo pubblico – la mairie], montrent la ville en ruines et les campagnes à l’abandon si elles sont laissées aux mains d’un “mauvais gouvernement”.

Roberto Barzanti, figure très respectée de la gauche locale, maire de feu le Parti communiste (PCI) à l’époque où le Monte dei Paschi fêtait le 500ème anniversaire de sa fondation, attribue les maux d’aujourd’hui à l’“esprit superstitieux des Siennois”, responsable du mariage indissoluble entre la banque et la vie politique locale.

“La transformation, en 1995, de la vieille institution de droit public en une société par actions a été vécue plus douloureusement ici qu’ailleurs”, raconte cet ancien parlementaire européen. “Les Siennois ont eu beaucoup de mal à admettre la séparation entre les activités philanthropiques du “Monte” et celles de la banque proprement dite, qui aurait dû se concrétiser par la création d’une part, d’une fondation, et de l’autre, d’une banque cotée en bourse. Aussi, quand le pas a finalement été franchi, les choses ont certes changé, mais tout a été fait pour que rien ne change vraiment”.

Vache à lait

De là est né cet “enchevêtrement harmonieux” , ces liens indissociables qu’entretenaient la vieille Démocratie chrétienne et le vieux Parti communiste, l’Église et la franc-maçonnerie, les syndicalistes et les banquiers. Les nominations à la banque se décidaient dans les réunions des partis, dans les conseils municipaux, à la banque — ces 25 dernières années, tous les maires de Sienne ont commencé leur carrière au Monte dei Paschi, à l’exception du dernier, Franco Ceccuzzi, resté en poste à peine plus d’un an avant d’être emporté à son tour par la crise du “Monte”. Le “Père Monte”, comme on l’appelle ici ou, “la vache à lait” selon les mauvaises langues, en ce sens que chacun, lors de son passage par la banque, ne se privait pas de la traire.

Il faut dire que du lait, il y en avait en abondance, et pour tous : de 1995 à 2010, la Fondation a inondé “le territoire” à elle seule avec près de 2 milliards d’euros. Des routes, des restaurations du patrimoine, des installations sportives, des associations et leurs bénévoles. Tout cela, selon une répartition immuable, de sorte que personne, quelque soit sa couleur politique, n’a eu vraiment à se plaindre.

Système en miettes

Il y a un an, le jeu a pris fin quand la Fondation a découvert qu’elle était au bord du gouffre. À partir de là, tout s’est précipité. Le Parti démocrate [héritier du PCI] local s’est désagrégé lors du vote de confiance : une faction a refusé de voter la confiance à l’ancien maire Franco Ceccuzzi, lors de la présentation du budget, en contestant la répartition des subventions accordées par la Fondation.

Alors que le petit monde politique local se déchire avec les débris du “système Sienne” aujourd’hui en miettes, la société civile s’interroge sur son avenir. L’austérité imposée par les comptes dans le rouge a conduit ces derniers jours à des coupes drastiques dans les financements et les patronages. Les premiers à en faire les frais sont le club de foot, Siena Calcio, dont les subventions sont brutalement passées, selon des indiscrétions, de quatre à deux millions d’euros, et l’équipe de basket, Mens Sana, la grande passion des Siennois, qui aurait vu son enveloppe réduite de 12 à 4 millions d’euros.

Mais ce n’est pas tout. Les subventions du célèbre palio ont elles aussi diminué de 250 000 euros, soit 15 000 de moins pour chaque contrada [quartier] concurrente. Cela paraît peu, mais c’est un signal fort.

“Paradoxalement, la fin de l’ère des largesses pourrait avoir au moins un aspect positif. Chacun va devoir comprendre qu’une époque est terminée, pour toujours”, écrit sur son blog l’”Hérétique de Sienne”, un commentateur précieux et très écouté de la vie siennoise.

Traduction : Françoise Liffran

Source: presseurop.eu

Benji

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