DANIELLE MITTERRAND : “La démocratie n’existe ni aux USA, ni en France”.

Avec cet article je pense qu’il n’y as plus rien a dire sur la politique . chapeau madame .

 

Hernando CALVO OSPINA

Hernando Calvo Ospina est un journaliste colombien réfugié en France et collaborateur, entre autres, du Monde Diplomatique.

Sa présence dans un avion régulier d’Air-France en avril 2009 effraya à ce point les USA qu’ils lui interdirent le survol de leur territoire et exigèrent son déroutage. Voir : http://www.legrandsoir.info/article8459.html

Hernando Calvo Ospina a bien voulu nous confier le texte d’un entretien qu’il a eu avec Danielle Mitterrand. Qu’il en soit remercié.

(Les photos sont celles de l’article original).

Ce qui suit est un extrait de l’entrevue à Mme. Danielle Mitterrand, veuve de l’ex-président français François Mitterrand, et présidente de l’association « France-Libertés ». A sa lecture il est facile de comprendre pourquoi, et ce depuis plusieurs années, les médias politiques et d’informations dans leur grande majorité ont essayé de l’ignorer.

vendredi 28 octobre 2005 – Entretien réalisé par Hernando Calvo Ospina.

Hernando Calvo Ospina : Mme. Mitterrand, qu’a signifié pour vous l’arrivée au gouvernement de votre époux François ? Est-ce que les idéaux sociaux et politiques qu’il portait dès sa jeunesse ont été reconnus en ces moments-là ?

Danielle Mitterrand : Mai 1981 fut un mois de grande activité, car c’était la préparation de l’arrivée au pouvoir de François. J’essayais d’apporter tout ce qu’il y a de meilleur en moi, pour que ces rêves d’avoir une société socialiste, quoique à l’européenne, deviennent réalité. Mais bien vite j’ai commencé à voir que cette France juste et équitable ne pouvait pas s’établir. Alors je lui demandais à François : Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais offert ? Il me répondait qu’il n’avait pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme. Qu’il avait gagné un gouvernement mais non pas le pouvoir.

J’appris ainsi que d’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai vécu l’expérience directement durant 14 ans. Même s’il essayait d’éviter le côté le plus négatif du capitalisme, les rêves ont commencé à se briser très rapidement.

HCO : Vous n’avez pas assumé le rôle de « première dame » comme l’« exige » la tradition protocolaire. Était-ce un simple caprice ? Ou à cause de convictions politiques ?

DM : Je n’ai pas voulu être une « première dame » comme toutes les autres, et en conséquence j’ai refusé le protocole qu’on a voulu m’imposer. J’étais l’épouse du chef de l’État, d’un homme que j’aimais, mais j’étais aussi libre d’avoir mes propres convictions. Je n’allais pas accepter d’être la simple image de la femme française typique, représentative d’un secteur social ; de sourire devant les caméras et les personnalités ; ou de servir d’ornement aux oeuvres de bénéfices. Avant tout, mon rôle devait consister en mon apport pour la construction d’une société juste.

J’ai eu mes critères et mes réflexions politiques, qui ont parfois fait choc avec celles de François. Si le gouvernement n’allait pas sur une bonne voie, je me devais de le dire, de le critiquer. Je sais que ce n’est pas le rôle d’une « première dame », car normalement elles ne sont qu’un instrument du pouvoir. Chaque fois que les autres ont voulu s’opposer à mes tâches militantes pour des « raisons d’État », pour n’être pas « diplomatiquement correctes », François m’a soutenue car il voyait qu’elles étaient justes. Il ne pouvait essayer de m’empêcher de faire ce qu’il disait défendre.

HCO : Mme. Mitterrand, vous avez fondé « France-Libertés », qui s’est distinguée par son engagement politique, social et humanitaire…

DM : Je l’ai fondée non pas dans l’intention d’en faire un contre-pouvoir, ni pour qu’elle serve au pouvoir. Je voulais prendre mes propres initiatives de solidarité politique, indépendantes des desseins du pouvoir, même si je m’attendais qu’avec le gouvernement socialiste nous aurions des objectifs proches. Mais je me suis vite rendu compte que ce ne serait pas facile. Est arrivé le moment où « France-Libertés » voulait aider des populations opprimées, mais le gouvernement socialiste français soutenait d’une manière ou d’une autre leurs bourreaux. Rapidement j’ai dû me poser la question : Jusqu’où peut-on aller sans provoquer d’ « incidents diplomatiques » ?

Dans l’Association s’est présenté pour nous un questionnement qui ne m’a pas du tout plu : sa présidente, épouse du président de la République, devait-elle respecter la sacro-sainte loi de non-ingérence dans les affaires de l’État, et se priver ainsi de son droit à la solidarité politique et humanitaire, pour ne pas aller à contre-courant ? J’ai continué avec mon projet car je le croyais juste. Alors, même de vieux amis personnels et de lutte ont commencé à m’isoler. Tout le pouvoir et le poids de la diplomatie française ont tenté de m’écraser, usant de tout pour « réparer » mes actions et mes expressions politiques publiques.

J’ai constaté que je ne pouvais pas exercer ma fonction de manière exemplaire si je ne servais pas le marché, le capitalisme. Que mon devoir n’était pas de me préoccuper des torturés ni des affamés. Que si ceux qui étaient écrasés réclamaient l’éducation, la santé ou du travail, je devais tourner la tête de l’autre côté. J’étais la « première dame » et je devais aider, avec mes sourires dans les cocktails, à ce que les intérêts commerciaux de la France progressent. Quand j’écoutais au cours de mes visites aux ambassades les discours du « commercialement correct », où le tout-puissant marché était ce qu’il y avait de fondamental avant la solidarité entre les peuples, cela me donnait l’envie de partir en courant. Je ne pouvais croire que les « bulldozers » du marché pourraient arriver à recouvrir jusqu’aux fondements mêmes de notre culture. Et ils l’ont fait.

Pourquoi un gouvernement qui se disait de gauche ne pouvait-il pas répondre aux attentes qu’il avait créées durant tant d’années dans l’opposition, tant au niveau national qu’international ? Devait-on accepter les impératifs d’un système mercantile jusqu’à la soumission ?

HCO : Ce système du marché sauvage, du capitalisme, du néolibéralisme, a à sa tête les États-Unis. Est-ce que la France se soumettait aux desseins de ce pays ?

DM : Durant la célébration du Bicentenaire de la Déclaration des droits de l’Homme – juillet 1989 – j’ai pu voir jusqu’à quel point nous étions soumis aux État-Unis. L’État français n’invita pas plusieurs dignitaires, en particulier des Latino-Américains. Comme par hasard c’était ces pays-là que Washington voulait annuler, détruire. Et je ne vais pas citer de noms, mais c’est facile à vérifier. Je me rappelle avoir dit à François : « Jusqu’à quel point allons-nous être dépendants de l’humeur des États-Unis, ne pas pouvoir choisir nos invités pour nos festivités… ? » Ce fut une honte.

HCO : Mme. Mitterrand, si cela arrive en France, vous devez bien savoir ce qu’il en est sous d’autres latitudes…

DM : Je ne suis pas anti-États-Unis, mais je suis avec le peuple de ce pays et non pas avec l’Administration qui le gouverne. Celle qui se sert de ce peuple pour tirer des bénéfices qui servent à quelques uns. Durant toutes ces années de ma vie, spécialement après la Seconde Guerre mondiale, j’ai pu voir comment les États-Unis foulaient aux pieds la liberté et la démocratie des autres pays, particulièrement les pauvres. Ronald Reagan désigna comme terroriste le gouvernement sandiniste du Nicaragua, quand les terroristes, c’était son Administration et cette « contra » qu’il finançait.

J’étais au Nicaragua peu de temps avant qu’ils détruisent la révolution. Fonctionnait encore ce qui avait été atteint au niveau de l’éducation et de la santé, des choses qu’avait le peuple nicaraguayen pour la première fois de son histoire. Je me rappelle que Daniel Ortega me disait : « Daniella, dis à François qu’il ne peut pas nous laisser tomber ; que l’Europe démocratique ne peut pas nous abandonner… ». Je le lui ai dit en effet. Et il n’a pu rien faire : les États-Unis avaient décidé que les sandinistes devaient s’en aller avec leurs plans de développement social, pour faire place au néolibéralisme et au retour de la misère pour le peuple. Tandis que nous, nous étions en train de fêter le Bicentenaire de la Déclaration des droits de l’Homme !

HCO : Au cours de ces mêmes années Washington resserrait le blocus contre Cuba, essayant d’en finir avec la Révolution.

DM : Le Nicaragua ne pouvait compter que sur Cuba. Et Cuba aussi était en train d’être étranglée par l’embargo des États-Unis, qui continue jusqu’à présent et qui n’a eu d’autre but que celui d’en finir avec tout ce qu’il y a de merveilleux que cette Révolution a réalisé au niveau social : quelque chose d’unique en Amérique latine ; presque unique dans un pays du Tiers-Monde.

Quand en 1989 Cuba se trouvait déjà seule face à Washington, car elle n’avait plus l’appui de l’Union soviétique, je m’y suis rendue. À mon retour j’ai dit à François : « Tu ne peux pas laisser tomber Cuba. Cette Révolution a beaucoup fait pour le peuple. La France ne peut être soumise aux États-Unis. » Il me disait que la France toute seule ne pouvait pas, et qu’en Europe personne ne la suivrait. Que les États-Unis détenaient tout le pouvoir économique, politique et de la propagande, en plus des contre-révolutionnaires de Miami. Je continue aujourd’hui à dire que cette révolution a mérité de se maintenir, car elle l’a fait et c’est le peuple qui la maintient. Par conséquent les États-Unis n’ont pas pu la faire plier. Je connais Fidel depuis très longtemps. J’ai passé beaucoup d’heures à discuter avec lui, à nous dire ce que nous pensons. Je lui ai fait part de toutes les critiques que j’ai au niveau politique. Une fois je lui ai demandé pourquoi il me supportait. Et il m’a répondu : « Parce que tu es une amie sincère. Et les critiques des amis on les écoute parce qu’elles sont honnêtes, même si nous ne sommes pas d’accord sur certaines choses. »

La dernière fois qu’avec François nous avons reçu officiellement Fidel à Paris, en le saluant je l’ai embrassé publiquement sur la joue. Ce qu’ « interdit » le protocole et les « politiquement corrects ». Mais c’est que non seulement Fidel était notre ami, mais aussi qu’il est latin, et les Latins sont tendres. Ce fut un scandale que la presse me rappelle encore.

HCO : Que pense Mme Mitterrand du président vénézuélien Hugo Chávez et des projets nationaux qu’il essaie de lancer ?

DM : Je n’ai jamais aimé les militaires. Mais Chávez, avant d’être un militaire est un homme, un être humain, et il est arrivé au pouvoir par la voie démocratique, et au point de gagner plusieurs élections. Chávez, au milieu de tous les obstacles que mettent sur son chemin les États-Unis et l’opposition dirigée par les riches, tente de faire avancer les programmes sociaux qu’il a offerts au peuple. Évidemment, le monde capitaliste lui est tombé dessus car il ne veut pas qu’un président du Tiers-Monde démontre que le peuple peut effectivement participer aux décisions de l’État et à son développement.

Que ce peuple, avec son leader, marche de l’avant pour ne plus être exploité, ni être analphabète et avoir droit à la santé. C’est ce qui se passe au Venezuela malgré tout. À cause de cela ils veulent éliminer, effacer Chávez. Peu leur importe si c’est le peuple qui l’a élu, et qui doit décider s’il doit le soutenir ou l’enlever de là. Il existe une espèce de rage de la grande majorité de la presse mondiale contre Cuba et le Venezuela. Et c’est parce que ces gouvernements veulent être indépendants, souverains, dignes. Cela dérange. N’oubliez pas que les médias sont dirigés par de puissants capitalistes.

HCO : Mme Mitterrand, est-ce que la France est un modèle de démocratie ? Est-ce une puissance mondiale ?

DM : En France on élit et les élus font des lois qu’ils n’ont jamais proposées et dont nous n’avons jamais voulu. Est-ce la démocratie quand après avoir voté nous n’ayons pas la possibilité d’avoir de l’influence sur les élus ? Je ne crois pas que dans aucun des pays qui se disent démocratiques, ceux-là qui croient avoir le droit d’imposer « leur » démocratie aux pays pauvres, il existe la démocratie, à commencer par les États-Unis et la France. La France est une démocratie ? Une puissance mondiale ?

Je le dis en tant que Française : Cela ne veut rien dire. Si on le dit pour les niveaux d’éducation, de la recherche ou la santé, c’est nul. Pour être capables d’aider la paix mondiale, les peuples opprimés ? Nul.

Hernando Calvo Ospina.

http://hcalvospina.free.fr/spip.php?article119

(Traduit par Abacar Fall)

Trouvé sur Le grand soir

By: vanvoght

Un lecteur du blog

18 Commentaires

  1. Je me rappelle que lors d’une émission avec Drucker elle s’était exprimée pour dire que son mari, une fois arrivé au pouvoir, avait dû réaliser que justement, il ne l’avait pas.

  2. Enorme cet article. A titre posthume encore une fois.

  3. y a t-il meilleur témoignage que celui ci pour être convaincu que voter ne sert à rien par les temps qui court ?

  4. Chapeau bas, Madame!

  5. que du Bla Bla

    le capitalisme et le socialisme sont la même chose….
    le communisme est une autre utopie socialiste : URSS union des républiques Socialistes Soviétique

    Une minorité (Nomenklatura) vivant sur le dos d’une majorité, 

    Vous les Moutons enragés trouvez moi un régime socialo ayant enrichis un pays, un seul, soyons d’accord sur le terme enrichissements :

    pas de dette du pays, l’importance du nombre de diplômés est valable si cela débouche sur un nombre important de dépôt de Brevet, de création d’entreprise libre…….. pas des entreprises d’État vivant sous perfusion…. un enrichissement généralisé de la population pas d’une minorité comme en France en 2011… 
    Création artistique florissante, pas comme de nos jours ou un art “comptant pour rien” est un art totalitaire il tue tout les autres créateur, si tu ne l’aime pas on te répond “tu n’y comprend rien”

    les Socialos et l’Urba???   j’ai commercial dans le BTP j’ai bien connu les locaux d’UBA

    • le Venezuella, Cuba, la Libye, le Brésil  …
      Et si vous allez dire que c’est (ou était) tenu d’une main de fer par des dictateurs, ces dicatateurs sont fermes surtout à cause des aggressions venues de l’exterieur par l’Occident Etat Uniste

    • voila pourquoi voter sert à rien dans le contexte actuel détenu par le 1 pour sang..
       

  6. Socialisme et Capitalisme ont en commun la concentration du pouvoir entre peu de mains et une paupérisation croissante du la masse des travailleurs. C’est flagrant en Chine où quelques familles tirent les ficelles et qu’il y a un milliard de paysans pauvres….deux cent millions d’ouvriers précaires et une centaine de millions de personnes qui ont accès à la consommation…

    • Socialisme, capitalisme, libéralisme, communisme doivent être des mots appartenant au passé, ils ne sont que des désignations différentes du même concept : la régulation des sociétés par l’outil économique et strictement par celui-ci.

      Nous vivons le monde avec des concepts qui auraient dû être dépassés depuis plus de 200 ans avec l’apparition de la machine à vapeur : travailler moins pour vivre plus.

      Hélas, le progrès humain n’a pas accompagné le progrès technologique.

      Petite vidéo qui résume vulgairement mais tout à fait pertinente : http://www.youtube.com/user/ArkoZeitgeister#p/u/15/kjVg10-NDPc

      • Très bien dit ! Les détenteurs de cette nouvelle technologie ont décidé d’en faire un outil d’esclavage des masses car ils détenaient le Capital. Les nouvelles richesses produites ont ainsi été concentrées entre quelques mains. Les dynasties financières actuelles sont les héritières en ligne directes de celles qui ont édifié de grands empires financiers à cette époque-là. Cela a conduit tout simplement à de nouvelles guerres dont celle de 14×18 qui fut la plus terrible. Ces dynasties doivent leur puissance au traffic de drogue ( déjà ! ) Rien n’a changé depuis le début du XIXème siècle : depuis Londres et New York elles dictent leurs lois implacables au monde entier. Seul un bulletin de vote blanc griffonné et donc nul peut avoir une quelconque valeur de contestation de cet ignoble état de chose.

        • Tout à fait, sauf pour le bulletin blanc, je crois qu’on ne réglera rien avec du papier. Le mal est bien plus profond, on en tient un peu, plus ou moins tous en chacun de nous, et certains s’en sont fait complètement le but de leur vie.

          On cite beaucoup le dicton de Gandhi, mais Wittgenstein, à la même époque avait dit la même chose : “Contentez vous de vous améliorer, c’est tout ce que vous pouvez faire pour améliorer le monde”. Je ne sais pas s’il pensait cette amélioration en terme d’esprit ou en terme d’intellect, en tout cas c’est pour moi le seul salut possible aujourd’hui en ce monde.

          On parle beaucoup, on prie beaucoup, on espère beaucoup, mais on ne fait quasiment rien pour nous libérer de l’emprise de cette vie corrompue qui nous empêche de nous épanouir entièrement et vivre vraiment avec tout notre potentiel humain.

          Au contraire, on vie dans l’hypocrisie, on fait croire à soi-même et aux autres qu’on est bien, on nous croise dans la rue, on répond ça va merci et toi quand on nous demande comment on va. Alors que rien ne va si on pouvait sonder les cœurs de chacun, tout n’est que mensonge et illusion, c’est pourquoi de plus en plus les gens passent leur temps à essayer de rêver par divers moyens virtuels alors qu’on pourrait tous vivre nos rêves si nous étions plus sincères et plus courageux.

  7. Merci Danielle pour ta franchise et ton honnêteté. Ton souci de cohérence est admirable. Je renvoie tous les lecteurs aux propositions d’une nouvelle démocratie par Étienne Chouard :http://etienne.chouard.free.fr/Europe
     

    • Partager ses idées est la seule chose qu’on puisse faire à l’heure actuelle ne serait-ce que pour réveiller certains à défaut de pouvoir mettre en place ce système.

  8. Je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils décident.

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