Cette prothèse, qui “cisaille le vagin”, fait l’objet d’un scandale mondial…

Encore un scandale sanitaire..

La prothèse vaginale Prolift, inventée par des médecins français, a fait souffrir des milliers de femmes dans le monde.

En Australie, 800 femmes mènent en ce moment un recours collectif contre le laboratoire américain Johnson & Johnson, fabriquant de la prothèse vaginale Prolift et d’autres implants vaginaux contestés.

Le Prolift est un tissu en plastique, suspendu comme un hamac à l’intérieur du vagin et destiné à soigner les descentes d’organes. Il a été interdit aux États-Unis en 2012 et en France un an plus tard.

Avant notre enquête, à paraître jeudi dans “l’Obs” (et à lire en intégralité ici pour les abonnés), aucun article de presse n’avait été consacré, en France, à cette affaire. Curieux paradoxe : cette prothèse est française. Elle a été créée par notre élite médicale.

Quelle est l’ampleur du scandale ?

En Australie, le procès en cours a démarré en juillet dernier. Des actions similaires ont lieu aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni. En Ecosse, où les victimes se surnomment les “mesh survivors” (survivantes des implants), la ministre de la Santé a demandé pardon.

Partout dans le monde, les victimes du Prolift décrivent une prothèse qui “cisaille le vagin”, qui fait l’effet d’une “râpe à fromage” ou d’un “papier de verre”. Parfois, elle tire sur des terminaisons nerveuses, perfore la vessie ou le rectum, fait une boule au fond de la cavité vaginale, et rend les rapports sexuels impossibles.

Qu’est-ce qu’un prolapsus ?

La descente d’un ou plusieurs organes (utérus, vessie, rectum…). Un processus qui peut survenir après un accouchement difficile ou avec l’âge et l’usure des tissus.

Qu’est-ce que le Prolift ?

C’est un filet fait de mailles en plastique, accroché à des ligaments et inséré par voie vaginale, qui soutient les organes comme pourrait le faire un hamac.

Comment soignait-on le prolapsus avant la prothèse ?

Dans les années 1990, le prolapsus était une insatisfaction récurrente pour les obstétriciens ; on le réparait par une chirurgie archaïque, en coupant….

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Comment cette prothèse est-elle née ?

Un jour, le chemin de Bernard Jacquetin, gynécologue reconnu, croise celui d’Axel Arnaud, un chirurgien digestif passé chez l’industriel Johnson & Johnson. Inspirés par le succès des bandelettes urinaires qui soignent l’incontinence, les deux médecins décident de concevoir un matériel prothétique pour remédier à la descente d’organes.

Au début des années 2000, Bernard Jacquetin réunit autour de lui huit médecins français choisis pour la qualité de leur geste chirurgical. Appelés le “groupe des neuf” et financés par le labo, ces médecins vont travailler pendant cinq ans au dessin d’une nouvelle prothèse.

Quelles erreurs ont-elles été commises ?

En mars 2005, Johnson & Johnson met sur le marché une prothèse vaginale qui pose deux problèmes majeurs :

– le tissu, trop lourd, entraîne des défauts de cicatrisation et une réaction inflammatoire à l’intérieur du vagin (les bras de la prothèse rétractée se mettent alors à tirer sur des terminaisons nerveuses) ;

– la pose ultra-technique du matériel requiert des mains expertes. Mais le service marketing de Johnson & Johnson se tourne, lui, vers des chirurgiens non-expérimentés.

Bernard Jacquetin admet :

Aux Etats-Unis, je crois vraiment qu’il y a des gens qui ont fait un petit peu n’importe quoi. En Amérique du Sud, il paraît que ça a été encore pire, mais ils ne portent pas plainte donc on n’en entend pas parler.

Dernière erreur commise par le labo : les risques de douleurs pendant les rapports sexuels n’ont pas été mentionnés dans la première notice du produit. C’est pour cette raison qu’aux Etats-Unis, des victimes du Prolift ont déjà obtenu plusieurs millions de dollars de dommages et intérêts en justice.

Comment la mise sur le marché de ce produit a-t-elle été possible ?

A l’époque, les prothèses vaginales ne sont pas classées “produits dangereux” par la Food and Drug Administration (ça a changé depuis). En Europe, un marquage “CE” suffit. Le labo n’a jamais pris la peine de financer une étude comparative avec la chirurgie traditionnelle. “Nous l’avons pourtant demandé. Mais à partir du moment où ils vendent, ils n’entendent plus”, dit Bernard Jacquetin.

Qui sont les neuf médecins français ?

Voici la liste des neuf inventeurs du Prolift : Philippe Debodinance (Polyclinique de Grande-Synthe), Michel Cosson (CHRU de Lille), Bernard Jacquetin (retraité du CHU de Clermont-Ferrand), Richard Villet (vice-président de l’Académise nationale de chirurgie), Delphine Salet-Lizée (Diaconesses-Croix-Saint-Simon), Claude Rosenthal (président de Gynécologie sans frontières), Henri Clavé (clinique à Nice), Juan Berrocal (cliniques à Rouen), Olivier Garbin (Hôpitaux universitaires de Strasbourg).

Alors qu’ils ont vu la catastrophe sanitaire se dérouler sous leurs yeux, les “French doctors” n’ont alerté ni la presse ni le grand public.

Les médecins avaient-ils conscience du danger ?

En juillet dernier, dans la salle d’audience australienne, alors qu’il était question de la prothèse, des e-mails du groupe des neuf ont été lus à voix haute provoquant des mouvements d’indignation. Dans cet échange privé, postérieur à l’introduction du Prolift sur le marché, l’un des médecins se demande s’il est normal qu’il n’ait, pour le moment, aucune envie de poser cette prothèse à sa femme.

Combien les médecins ont-ils gagné ?

Les médecins jurent aujourd’hui que l’argent n’a pas acheté leur silence. Pendant les années Prolift, ils en ont cependant gagné beaucoup.

“D’un commun accord des membres de ce groupe”, Bernard Jacquetin, qui a vendu le brevet Prolift à Johnson & Johnson, a refusé de me donner le “chiffrage des gains”.

Mais selon les documents que nous avons pu obtenir, le “groupe des neuf” aurait touché au minimum 5,5 millions d’euros de royalties. Plusieurs médecins ont également reçu de l’argent pour aller promouvoir la prothèse et former des chirurgiens à la pose. “De 1.000 à 2.000 euros la journée de formation”, nous a dit Michel Cosson.

Combien y a-t-il de femmes portant un Prolift dans le monde ?

Johnson & Johnson ne communique pas sur ses ventes….

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Quel résultat pour les procès aux Etats-Unis ?

Aux Etats-Unis, des dizaines de milliers de plaintes ont été déposées mettant en cause les bandelettes urinaires et la prothèse vaginale. Sur tous ces produits, Johnson & Johnson est en première ligne.

Concernant le Prolift, le premier procès a été celui intenté par Linda Gross. Cette infirmière du Dakota est la première à avoir vu son cas examiné par une cour du New Jersey. Elle a porté plainte en 2008 et le procès a eu lieu en 2012. Linda Gross a dû subir 18 opérations pour retirer la prothèse. Elle a obtenu 11 millions de dollars de dommages et intérêts.

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Pourquoi le scandale n’a-t-il pas éclaté en France ?

En France, la situation est restée sous contrôle. Le groupe des neuf a formé la plupart des chirurgiens français qui ont voulu utiliser la prothèse et deux recommandations de la HAS (Haute Autorité de Santé) ont refroidi les ardeurs des chirurgiens non-expérimentés.

Les femmes ont été mieux opérées, mais la prothèse a aussi fait de nombreuses victimes. Si elles sont restées silencieuses, c’est probablement parce que les chirurgiens français les ont reçues avec sollicitude en leur proposant des solutions techniques.

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Que répond le labo ?

Sollicité à plusieurs reprises, le bureau français du labo n’a voulu répondre à aucune question, mais il a assuré “compatir avec les femmes souffrant de prolapsus pelvien, qui peut être grave et invalidant”. Aux Etats-Unis, le service communication a laissé nos demandes sans réponse.

Pose-t-on encore des prothèses vaginales en France et dans le monde ?

Le kit Prolift a été retiré du marché. Mais de nouvelles prothèses, plus légères, sont encore sur le marché. On les utilise en dernier recours sur des patientes ayant des indications spécifiques. Pour ces patientes, ne pouvant pas être opérées par “voie haute” (cœlioscopique) ou ayant fait plusieurs récidives, elles sont salutaires.

Si vous avez vécu des complications liées à la pose d’une prothèse vaginale (Prolift ou copie), merci de m’écrire à nleblevennec@rue89.com

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Auteur Nolwenn Le Blevennec pour L’Obs

Volti

Un Commentaire

  1. Il fut un temps, on mettait une plaque. Pas génial mais .. Je n’aimerais pas avoir un tel attirail dans mon intimité !

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