Tchernobyl dans les Alpes…

Face à la langue de bois des pro-nucléaire, puisqu’en France “tout va bien, rien à craindre on gère”, nous avons la CRIIRAD, organisme indépendant, qui est supposé donner les “vraies infos” en la matière. Mais en étant alarmiste au delà de la vérité, juste pour maintenir la pression sur les autorités, la CRIIRAD ne court elle pas le risque d’être décrédibilisée? Le nucléaire fait suffisamment peur, sans qu’il faille en rajouter, même pour les meilleures raisons. Là où il y a information tronquée, il y a manipulation. Que doit on en penser?

crise-alarme

La CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) vient de publier un communiqué alarmiste sur des mesures de radioactivité dans certaines zones des Alpes, qui seraient dues aux retombées du nuage de la catastrophe de Tchernobyl. En fait une zone très circonscrite à proximité du col de la Bonnette-Restefond dans le Mercantour.

Les mesures d’activité vont jusqu’à 150 kBq/kg de sol en bordure d’un lac à sec pour le césium 137, un élément qui n’est clairement pas naturel, puisque c’est un produit de la fission de l’uranium [1]. L’association mesure également un débit de dose maximal de 5 µSv/h dans ce même lac à sec. Aucune information sur la surface de cette contamination [2].

Elle se sert ensuite de ces valeurs pour produire des phrases propre à déclencher la panique de tout un chacun, à commencer par le sous-titre :

« Dans les Alpes, certains sols sont toujours des « déchets radioactifs » »

Certes, mais une substance dont la radioactivité est de l’ordre de grandeur de la radioactivité naturelle est aussi considérée comme un déchet nucléaire !

« A 1 mètre du sol, sur des centaines de mètres carrés, le niveau de radiation est toujours plus de 2 fois supérieur à la normale. »

Peut-être, mais est-ce qu’il faut crier au loup pour autant ? Et puis, c’est quoi « la normale » ?

« Les niveaux de radiation au contact du sol dépassent toujours, sur les zones d’accumulation, des valeurs plusieurs dizaines de fois voire plus de 100 fois supérieures au niveau naturel. »

Peut-être, mais est-ce dangereux pour autant ?

Et enfin : « Le fait de bivouaquer 2 heures sur certaines de ces zones induit toujours en 2015 une exposition non négligeable (débit de dose de 5 µSv/h au contact du sol). »

Évidemment, un tel communiqué n’a pu qu’être repris par les médias divers et variés, avec des titres à sensation, qui, comme à leur habitude, n’ont pas cherché plus loin : Montagnes Magazine, Le Figaro, RTL, le Point et même les Techniques de l’Ingénieur

Pour commencer, le becquerel (Bq) n’est que le nombre de particules émises par seconde pour une substance radioactive donnée. Cette unité n’indique pas le caractère dangereux du rayonnement émis. Ce qui fait la dangerosité c’est l’énergie déposée par les particules émises par les substances radioactives dans les tissus vivants. Le Sievert (Sv) est l’unité qui permet cette quantification, une quantité d’énergie déposée par unité de masse de corps humain, pondérée par différents facteurs selon les organes et la nature du rayonnement (débit de dose efficace).

Le débit de dose induit par la radioactivité naturelle du corps humain (potassium 40 et carbone 14 pour l’essentiel) est d’environ 0,2 mSv/an. Il faudrait donc bivouaquer non pas 2 h précisément à ces endroits pour que cela devienne non négligeable, mais plutôt 40 h (sans bouger, hein !) pour que cela atteigne le débit de dose équivalent à la radioactivité naturelle du corps humain en une année.

De plus le débit de dose reçu par chacun d’entre nous chaque année est d’environ 4 mSv (dont environ 2 mSv dû à la radioactivité naturelle, une partie — petite — due aux rejets industriels, une partie due aux divers examens radiologiques que nous subissons…). Il faudrait donc bivouaquer 800 h — soit plus de 30 jours — à cet endroit (toujours sans bouger) pour atteindre des niveaux équivalents. En fait, la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) préconise que le débit de dose en plus de la radioactivité naturelle ne doit pas dépasser 1 mSv/an. Ça laisse tout de même la possibilité de bivouaquer 200 h. À propos des faibles doses radioactives, voir ici.

Donc, si, le fait de bivouaquer 2 h à ces endroits induit une exposition négligeable.

Ces mesures sont intéressantes, même si très (trop ?) ponctuelles géographiquement [3] — comment peut-on ainsi généraliser comme le fait la CRIIRAD dans son communiqué : on a l’impression à le lire que toutes les Alpes sont contaminées (ce qui est peut-être vrai, mais reste à démontrer !) —, mais avant d’en tirer des conclusions catastrophistes, il faut quand même relativiser — et surtout ne pas se baser sur une seule mesure en un seul point, ou presque !

De surcroît, les valeurs d’activité de 150 kBq/kg semblent importantes, mais le becquerel est une unité très petite : notre corps est ainsi radioactif avec une activité d’environ 10 kBq…/…

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Auteur Guillaume Blanc pour GBlanc.fr

[1Au passage, la période radioactive du césium 137 étant de 30 ans, depuis la catastrophe, la quantité de ce radionucléide a diminué de moitié. Mais il a pu aussi se concentrer dans certaines zones selon l’environnement alentour.

[2Mais comme le précise la CRIIRAD : « La nouvelle campagne de mesures CRIIRAD de juillet 2015 dans le Mercantour, a pour objectif de maintenir la pression sur les autorités pour qu’elles produisent des cartes détaillées et gèrent les points les plus radioactifs situés sur des zones fréquentées par le public. »

[3Aucune information par ailleurs sur le choix des points échantillonnés : est-ce l’endroit le plus radioactif du secteur ? Est-ce un point choisi aléatoirement ? Qu’en est-il juste à côté ? Bref, les ingénieurs de la CRIIRAD se revendiquent scientifiques, mais leurs mesures manquent un peu de sérieux.

[4À condition de dormir moins de 200 h ! Et encore, la limite de 1 mSv pour le débit de dose « toléré » en plus est fixé « par précaution » : si on sait très bien quels sont les effets au-delà de 100 mSv, en-deçà, domaine des faibles doses, c’est beaucoup plus flou et compliqué. Sinon, sans être allongé en permanence, debout, donc, le risque est cinq fois plus faible, puisqu’à 1 m du sol, la CRIIRAD mesure un débit de dose cinq fois moindre.

Voir du même auteur:

Le défi climatique : objectif 2°C !

Et si les chercheurs (re)prenaient leur destin en main ?

 

 

Volti

12 Commentaires

  1. On peut se demander si l’auteur de l’article n’est pas payé par l’industrie du nucléaire, qui essaye de minimiser comme d’habitude

    • https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_bye.gif
      https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_good.gif
      http://www.greenpeace.org/luxembourg/fr/news/la-contamination-radioactive-n/
      La radioactivité rejetée suite aux explosions de la centrale nucléaire s’est répandue dans de nombreux pays, causant de sérieux problèmes. On estime qu’en Ukraine, 18 000 km2 de terres agricoles ont été contaminés, ainsi que 40 % des forêts (soit 35 000 km2).

    • La CRIIRAD avoue qu’elle met la pression sur les autorités,
      donc pas difficile de conclure que les chiffres,
      pour réels qu’ils soient, ne sont pas assez précis pour
      envisager de s’y fier les yeux fermés.
      Il y a le risque que le doute subsiste, même avec de vraies
      alarmes, s’ils sont trop évasifs, dans le but mettre le public
      inquiet de leur côté, pour influer sur les autorités.
      Nous sommes suffisamment envaselinés, sans avoir à douter d’un
      organisme qui prétend informer le public..
      Il ne faut pas mettre en cause ceux qui posent les bonnes questions,
      mais si ce qui nous est dit est réel et fondé. 🙂

  2. L’argumentaire est bien construit.
    …Oui la CRIIRAD en fait trop.

    Mais à force de n’être jamais entendu (depuis 30 ans!!!), même quand les cas sont graves, il est naturel que la surenchère prenne le pas.

    C’est un piège…et le discrédit qui s’en suit n’est malheureusement pas loin.

  3. La CRIIRAD un laboratoire indépendant?
    Une association indépendante?

    Indépendante par rapport à quoi? À qui?

    Créée lors de l’accident nucléaire de Tchernobyl (1986) par des personnes affiliées au PS cette association munie d’un seul compteur Geiger au départ s’est trouvée avec bien des portes ouvertes afin de se mettre en avant et casser la dynamique des associations anti nucléaires dans un sens.
    La CRIIRAD n’a jamais été contre le nucléaire pour preuve dans un de ses bulletins elle traitaient les anti nucléaires de “guérilleros”…(1)
    N’importe qui peut se prévaloir d’être un laboratoire en s’équipant de matériel adéquat, mais les portes seront fermées, la plupart du temps, pour toutes communications…
    Et, puis il y a les manipulations des personnes un peu dans le style des grandes Confédérations syndicales telles la CGT (1) ou la CFDT (à majorité PS), la COM ils connaissent mais derrière c’est du vent et l’on avance pas d’un millimètre…au contraire on régresse et dans tous les domaines…
    Par exemple au niveau de la COM on bouffe de la CRIIRAD qui me débecte de plus en plus mais on ne parle pas des associations anti nucléaires (qui ont aussi des “laboratoires”) comme le CRILAN (créé en 1980)…
    Bien des associations dans le monde militent et très peu ont les portes ouvertes qu’a la CRIIRAD, mais ceci s’explique aussi par le fait que son indépendance est loin d’être réelle, le PS est largement introduit…
    C’est un peu comme les écopolitiques la plupart ne sont pas des écologistes au sens réel (les militants aux cheveux longs ont quitté le mouvement depuis longtemps (a)) mais des membres du PS ou affiliées comme par exemple des militants de la CFDT, tous des opportunistes, des magouilleurs, hélas, ce qui explique la dérive de ce courant qui favorise aujourd’hui le vélo électrique, la voiture électrique et des enjeux économiques qui sont loin très loin du mouvement anti productiviste…

    http://www.s323409623.onlinehome.fr/crilan/index.php?option=com_content&view=article&id=27&Itemid=53

    Pour conclure toutes ces associations étrangement ne militent pas pour la fin du nucléaire, tiens, en passant: Fessenheim est toujours là (b)…ces deux réacteurs sont largement en fin de vie…mais qu’importe si il y a une pollution radioactive nous aurons toujours de vaillants rapporteurs des taux de radioactivité, dénonçant et attirant l’attention sur eux…sans pour autant s’attaquer aux causes réelles et sérieuses de cette pollution ionisante…actif aujourd’hui ou radioactif demain?

    http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/04/20/incident-a-fessenheim-les-anti-nucleaires-portent-plainte-contre-edf_4619507_3244.html
    Pour la petite histoire Ferone de la Selva avait rendu public le Plan Orsec Rad de Fessenheim…quel courage en ce temps là…

    Aujourd’hui nous avons affaire à bien des guignols, le nucléaire a encore de beaux jours devant lui et avec l’EPR les jours pourraient être comptés pour certains…mais il y aura toujours des petits malins qui seront là pour vous démontrer avec un compteur Geiger à la main que vous vous êtes pris une bonne dose de Roentgen équivalant man…pour le reste circulez il n’y a plus rien à voir…

    1) Jean Pignero fondateur de l’Association pour la Protection contre les Rayonnements Ionisants (APRI -association historique créée en 1962) avait, dans une lettre ouverte, dénoncé la qualification (presque insultante) donnée aux anti nucléaires par la CRIIRAD.

    2) Signataire de la loi d’août 2008 qui discrimine les petites organisations syndicales, le droit de s’associer pour défendre ses intérêts (ici professionnels) en a pris un sérieux coup! Tous ces personnages qui sont à la tête d’organisations à structure pyramidale sont extrèmement toxiques…

    a) Qui parle de Pierre Fournier (dessinateur et fondateur de “La Gueule Ouverte”? De Jean Pignero fondateur de l’APRI qui a été le premier à dénoncer les dangers de la radioactivité) ? De Ferone de la Selva (fondateur d’Ecologie Energie et Survie) ? De Georges Krassowsky (il était à l’origine de la couleur verte qui ralliait les militants écologistes) etc etc Sans oublier Jacques Yves Cousteau qui avait en son temps dit que “le seuil de l’irréversible était dépassé…”…
    Ils sont volontairement les oubliés de l’histoire des luttes écologistes par ceux qui se mettent en avant en essayant de tromper la grande majorité des citoyens et citoyennes, en manipulant ici et là, en effaçant tous repères de l’histoire des luttes anti nucléaires afin de se mettre en avant…mais quel arbre peut prétendre cacher la forêt?…

  4. Merci pour ce débat intéressant. J’ignorais bien des points !

  5. C’est marrant, à deux mois et quelque d’intervalle…
    https://lesmoutonsenrages.fr/2015/05/17/nucleaire-francais-60-ans-de-mensonges-detat/#more-81757

    Essayer de “faire pression” sur le gouvernement, c’est tenter de l’influencer positivement. Cela ne veut pas dire “mentir”, ni vouloir alarmer sans raison valable. Les risques existent, les mensonges du gouvernement existent, et le nucléaire est polluant avec ses émanations,ses fuites toxiques et ses déchets enfouis dont le volume s’accroît perpétuellement…Il faudra bien une issue à tout cela.

    La Criirad donne des infos sérieuses. Ils ne sont pas sensés être devins non plus. Il vaut mieux des études approximatives que pas d’études du tout ni infos sur la question.
    Je ne trouve pas du tout qu’ils sont trop alarmistes. Et qui lit leurs études, qui s’informe sur la question, à part quelques écolos minoritaires (et critiqués) ?

    La masse bêlante se laisse guider et endormir par des conneries pour oublier les risques que leur font courir les multinationales polluantes avec l’aval de notre bon gouvernement, trop satisfaite de gaspiller à gogo l’énergie, quand elle a les moyens, posséder les technologies dernier cri, tout ce qu’elle pense être son confort dont elle ne pourrait se passer…
    C’est “la croissance”, messieurs, mesdames..!
    Consommez, consommez comme des porcs; vous croyez vraiment ce que les pro-nuke vous disent et leurs arguments à deux sous (retour à la bougie et au charbon, etc…) ?

    • Il n’est pas question de tirer à boulets rouges
      sur la CRIIRAD, mais de poser la question. Alerter
      oui, mais de leur propre aveu, c’est surtout pour
      maintenir la pression sur le gouvernement. Pour ceux qui
      s’y fient à 100% sans chercher plus loin, ils pourraient
      croire que toutes les Alpes sont contaminées, ce qui n’est
      pas le cas. 🙂

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