“Nous sommes passés dans l’allégeance au suzerain américain”, par Jean-Pierre Chevènement…

Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé à Marianne, vendredi 10 juillet 2015. Propos recueillis par Anne Rosencher et Alexis Lacroix.

MARIANNE : Les événements récents ont donné matière à s’interroger sur la place de la France, sur sa capacité à tenir son rang et à se faire entendre. On a notamment appris il y a deux semaines que la NSA avait mis sur écoutes trois présidents français. Ces révélations ont donné lieu à quelques froncements de sourcils mollement mis en scène. Notre réaction a-t-elle été suffisante ?

Jean-Pierre Chevènement : Le général de Gaulle eût été beaucoup plus sourcilleux. Depuis cette époque, et surtout depuis les événements du 11 septembre 2001, il s’est développé un système d’écoutes généralisées, facilité par les progrès fulgurants des technologies de l’espace et des télécommunications, contre lequel il est difficile de lutter. Mais dans cette affaire, ce qui m’a le plus frappé, ce fut la révélation que le Bundesnachrichtendienst – le service de renseignements allemand – avait effectué des écoutes pour le compte de la NSA. J’y ai vu là un partage du travail assez révélateur de la situation de l’Europe actuelle : l’Allemagne est la puissance décisionnaire en matière économique, financière, monétaire, mais pour tout ce qui relève de la grande politique, comme les relations avec la Russie, il faut qu’il soit clair que les Etats-Unis tiennent le manche. Dans l’affaire qui nous intéresse, on aurait été en droit d’attendre au moins que le gouvernement des Etats-Unis présente ses excuses à la France.

Barack Obama s’est excusé, non ?

Pas exactement. Le président des Etats-Unis s’est borné à promettre que son pays ne recommencerait plus. Pour comprendre dans quel monde nous vivons, il importe de replacer la pratique américaine des écoutes dans un cadre plus vaste. Au prétexte de lutte contre la corruption ou d’application des embargos qu’ils décrètent, les Etats-Unis, depuis une bonne dizaine d’années, se sont arrogé le droit de sanctionner financièrement les entreprises qui manquent à des obligations du droit américain. BNP Paribas ou Alstom, mais aussi la Société générale et le Crédit agricole, en ont fait les frais. Le droit extraterritorial qu’appliquent les Etats-Unis de punir les entreprises jugées « contrevenantes » exerce un effet de tétanisation sur une large part de nos banques. Beaucoup craignent de perdre leur accès au marché financier américain. Il en résulte un système d’allégeance et d’inféodation à l’échelle planétaire. Les Américains ont mis en place ce système très sophistiqué de punition extraterritoriale pour obliger les entreprises étrangères à relayer l’ordre international qu’ils décident souverainement. Les Européens y ont résisté, un peu : au milieu des années 2000, Dominique de Villepin, Jack Straw et Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères de leurs pays respectifs, ont tenté d’infléchir la politique de sanctions vis-à-vis de l’Iran. Leurs efforts n’ont toutefois pas résisté à la politique d’alignement mise en œuvre en France par Nicolas Sarkozy.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, que nous ayons plié le genou face aux Etats-Unis ? L’arme économique est-elle devenue un moyen pour Washington d’asseoir son hégémonie politique ?

La tétanisation exercée sur nos entreprises commence à l’échelle des banques. Dès lors qu’un financement paraît un tant soit peu risqué vis-à-vis de potentielles sanctions américaines, les banques le refusent. L’effet dissuasif, par exemple, est manifeste en ce qui concerne les sanctions visant la Russie. Qui sait que les exportations de la France vers ce pays sont passées de 9 milliards en 2012 à 6,7 milliards en 2014 ? Et qu’au premier trimestre 2015, elles ont encore fléchi de 33% par rapport au premier trimestre 2014 ? Au travers de leur économie – qui représente environ 1/5è de l’économie mondiale –, mais surtout grâce au fait que le dollar reste la monnaie mondiale, les Etats-Unis se sont arrogé la possibilité de contrôler, à travers leur Département de la Justice, les activités de toutes les entreprises de la planète.

Vous dressez un constat d’intériorisation de la contrainte par nos entreprises et par nos dirigeants. Comment remédier à cet état de fait ?

Il importe d’abord de savoir si l’Europe n’est plus qu’une machine à relayer les sanctions décrétées par les Etats-Unis en fonction de leurs propres critères qui ne sont pas forcément les nôtres. Dans la crise ukrainienne qu’on aurait pu éviter si on n’avait pas placé l’Ukraine devant le dilemme absurde d’avoir à choisir entre l’Europe et la Russie, la France a essayé de réagir en mettant sur pied le format dit « de Normandie ». Cela a abouti aux deux accords de cessez-le-feu de Minsk. Or, les accords de Minsk II ne sont pas appliqués du fait de l’Ukraine, refusant le volet politique qui prévoit des élections dans les régions russophones de l’Est et une réforme constitutionnelle permettant une large décentralisation. Et voilà qu’on sanctionne la Russie ! C’est du Guignol ! Les sanctions ont été reconduites sans vrai débat le 29 juin par le Conseil européen. Ce système d’inféodation doit être contesté. L’ordre international n’est plus l’ordre formellement égalitaire de 1945. Au sein de l’ONU, toutes les nations sont en principe à égalité sauf, naturellement, au conseil de Sécurité où il y a cinq membres permanents sur quinze. Ce schéma légal s’est décomposé. L’« occidentalisme » qui prévaut désormais est un système d’allégeance au Suzerain américain.

D’ailleurs, l’OTAN n’a-t-il pas aussi pris la place de l’ONU ?

En effet, l’OTAN aimerait bien remplacer l’ONU, car, au sein des Nations unies, il y a le P2 (Etats-Unis/Grande-Bretagne), le P3 (avec la France) et le P5 (avec la Russie et la Chine). Le bon sens voudrait qu’on continue à travailler dans ce cadre, car nous ne sommes plus à l’époque de la guerre froide et nous pouvons discuter raisonnablement avec les Chinois et avec les Russes, comme cela a été fait avec succès pour le désarmement chimique de la Syrie. Mais les Américains, avec l’affaire ukrainienne, ont allumé un brandon de discorde entre l’Europe et la Russie ; ils cherchent à empêcher l’Europe d’exister politiquement et accessoirement de trouver une alternative à sa dépendance énergétique envers les pays du Golfe, qu’ils protègent. Pourtant, face à Daesh, une menace dirigée conjointement contre l’Europe, l’Amérique et la Russie, sans parler des populations musulmanes prises au piège, nous aurions bien besoin d’une coopération !

Justement, quelle analyse géopolitique faites-vous de l’émergence de Daesh ? Rejoignez-vous celle du premier ministre, Manuel Valls, qui a récemment parlé d’une «guerre de civilisation » ? …/…

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Source : Jean-Pierre Chevénement, pour son blog www.chevenement.fr, le 10 juillet 2015. via Les Crises

 

Volti

20 Commentaires

  1. les usa ne cherchent ni partenaire ni coopération économique ils ne leur faut que des vassaux
    une europe soumise aux dictats et aux regles americaines l esclavage a deja commencer depuis un moment sa premiere forme insidieuse et destructrice est la dette a l infini crée par les bankster us , logique ceux qui dirigent l ue l union des escrocs sont sont d anciens banksters non elus democratiquement mais imposer par la finance
    L’histoire montre que, lorsque le pouvoir se concentre entre quelques mains, des hommes avec une mentalité de gangsters en prennent le contrôle
    (Le premier but de ces financiers est le contrôle du monde par la création de dettes inextinguibles)
    Henry Ford

    (( Il doit être dit aux gouvernements du monde, et particulièrement aux vassaux de Washington en Europe, au Canada, en Australie et au Japon, qu’il est de leur responsabilité de ne plus donner leur assentiment aux agressions commises par Washington ou alors, d’accepter leur responsabilité dans le déclenchement d’une troisième guerre mondiale.

    Au moins nous pourrions tous avoir le plaisir d’observer l’arrogante Samantha Powers et le lâche petit toutou britannique se lever et quitter les débats de l’ONU. Il n’y a aucun doute que Washington serait incapable de répondre aux accusations.

    Rappelons une fois de plus la doctrine Wolfowitz, qui domine la politique étrangère américaine et qui condamne la planète à la destruction : “Notre premier objectif est d’empêcher la résurgence d’un nouveau rival, sur le territoire de l’ex-URSS ou ailleurs, qui serait une menace du même ordre que celle que représentait l’Union Soviétique. Ceci est un point de vue dominant qui souligne la nouvelle stratégie de défense régionale, et qui exige que nous nous efforcions d’empêcher toute puissance hostile de dominer une région dont les ressources pourraient, sous un contrôle renforcé, être suffisantes pour nourrir une puissance mondiale.”

    Une puissance hostile est définie comme étant n’importe quel pays qui n’est pas un vassal de Washington. La doctrine Wolfowitz engage les États-Unis, ses citoyens, ses alliés européens crédules et toute personne en conflit avec la Russie et la Chine. À moins que la Russie et la Chine ne se rendent, le monde sera détruit.

    La destruction du monde est ce que les gouvernements imbéciles d’Europe et les médias occidentaux prostitués encouragent en facilitant la propagation des mensonges et de l’agressivité de Washington.

    Source : http://www.paulcraigroberts.org

  2. Chevènement a bien servi le système …c’est tout ce que je constate.
    Qu’au crépuscule de sa vie il se mette à penser ne lui fera plus risquer grand chose. Et toujours pas de proposition claire et nette de sortie de l’€ et de l’UE …ce mec est une poupée girouette !

    • Faut pas déconner!

      -Chevénement était totalement contre la création de cette Europe.
      Il fut une véritable épine dans le pied du félon Mitterrand, qui lui promouvait cette mise en esclavage.

      -Certes cette homme n’est pas parfait. Mais à l’image de Jean-Jaures, il n’a jamais trahi ses convictions et ses électeurs.

      Et en plus, il n’a pas peur d’afficher ses convictions et de les assumer jusqu’au bout. …Voir sa démission en 1990 et son appel à voter non au traité de Maastricht en 199.

      Pour mémoire:
      -Très très instructif, à voir absolument!
      http://www.ina.fr/video/CAB92048342

      Et pour info:
      http://guerredugolfe.free.fr/jan91_5.htm

      • “Un ministre, ça ferme sa gueule. Et si ça veut l’ouvrir, ça démissionne.”
        Plusieurs fois démissionnaire … et toujours revenu !
        Les places sont bonnes et les loyers pas chers.
        Il faut reconnaître que comme ministre de l’Education, c’était d’une autre trempe que le petit danseur et sa cavalière.

      • Je vais dans ton sens sur ce coup.

        Si l’on veut bien remettre les choses en perspectives concernant le moyen orient ; alors c’est dès le conflit Irak.Iran qu’il fallait réagir pour calmer Sadam.
        Là l’Irak était l’agresseur.
        Les pays qui fournissaient des armes à l’Irak étaient les mieux placés pour modérer les ardeurs de Sadam.
        Ils n’en ont rien fait.
        Dans cette affaire il eu fallu être du côté de l’agressé et non de l’agresseur.
        Il ne faut pas ensuite s’étonner si l’Iran développe une politique de défense.

        C’est à cette occasion que s’est allumée la mèche qui embrase le moyen orient.

        Le paradoxe est que l’ONU a réagi lorsque l’Irak a envahi le Bareïn aussi nommé la 19 éme province.
        Pourtant cette offensive était plus “légitime” que contre l’Iran.

        • “C’est à cette occasion que s’est allumée la mèche qui embrase le moyen orient.”

          C’est à cette occasion que ‘les usa ont’ allumé la mèche qui embrase le moyen orient.

  3. “Il vaut mieux la fin de l’horreur qu’une horreur sans fin”.
    Charles Gave.
    http://www.youtube.com/watch?v=vuvdvy6HTnE

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