Grèce vs le système financier : la Russie est le dernier atout de Tsipras

Suite à l’annonce de la mise en place d’un Qantitative Easing européen par la BCE début janvier, les indices boursiers ont entamé un rallye haussier, ce qui constitue l’objectif principal de ce type de politique monétaire non conventionnelle, comme nous l’avons vu avec le bilan des QE de la FED américaine. Bien que les justifications officielles de ces programmes d’injection de liquidités monétaires soient une relance du crédit, et par ricochet, de l’activité économique, les faits ont montré aux USA comme au Japon, que les liquidités restaient cantonnées au système financier et avaient comme conséquence un gonflement du prix des actifs. Le Standard and Poors a progressé de 140% en 5 ans aux états-unis pendant que le CAC se contentait de 40% de hausse…

Ces injections de liquidités dans le système financier s’accompagnent en Europe de politiques budgétaires austéritaires caractérisées par une réduction des dépenses de l’état, baisse des prestations sociales, report de l’âge légal de départ à la retraire, une baisse des traitements des fonctionnaires dans les pays du sud, une diminution des budgets de fonctionnement des services publics. Dans le même temps, le secteur privé bénéficie de différents programmes d’allègement des cotisations destinés à faire baisser le coût du travail, comme les lois « Hartz » en Allemagne, ou le CICE en France, mais aussi de dispositifs d’allègement de la fiscalité sur les plus-values immobilières ou boursières qui pénalisent les recettes publiques. Dans le contexte récessif et de chômage de masse actuel, l’austérité budgétaire ne suffit pas à elle seule à équilibrer la baisse des recettes fiscales et des cotisations salariales. Des hausses d’impôt ont également été mises en place dans la majeur partie des pays européens touchés par ces difficultés budgétaires. La hausse de la TVA a été massivement privilégiée afin de compenser le déclin des recettes, comme ce fut le cas en Grèce, en Espagne ou encore en France.

Le dernier élément de ces « politiques de l’offre » destinées à augmenter la profitabilité et l’investissement productif, dont on a vu pourtant que ces deux termes étaient aujourd’hui largement contradictoires, repose sur la déflation salariale, c’est à dire des baisses de salaires. Les salaires grecs ont ainsi chuté de 25% depuis 2008, en Espagne le salaire moyen a chuté de 12% entre 2010 et 2012.

Le gouvernement français, selon des informations du journal Le Parisien, envisagerait également des « assouplissements » au droit du travail afin de faciliter les baisses de salaires et les licenciements.

L’ensemble de ces politiques au niveau européen conduit ainsi à une réallocation de la plus-value en faveur du capital financier et à un appauvrissement des classes moyennes et populaires.

Dans ce contexte, il est intéressant d’observer la situation de la Grèce et notamment les négociations en cours entre le parti anti-austérité Syriza qui s’est fait élire sur un programme de rupture contre ces politiques, et les représentants de l’ordo-libéralisme, commission européenne, FMI et BCE.

La ligne choisie par les représentants de la « troïka », rebaptisée « institutions » a été une logique d’affrontement avec le gouvernement d’Alexis Tsipras, qui est financièrement aux abois, et dépendant du programme de liquidités d’urgence de la BCE afin d’honorer ses prochaines échéances. Le gouvernement Tspiras a déjà renoncé à renégocier sa dette face à l’intransigeance de Bruxelles, et pourrait se retrouver en défaut de paiement des le 9 avril, date d’ échéance d’un prêt du FMI qu’Athènes ne pourra pas honorer sans le déblocage de la prochaine tranche d’aide de 7,2 milliards d’euros négociée dans le cadre de l’eurogroupe de février. Le déblocage des fonds est toutefois soumis à une liste d’exigences qui vont à l’encontre du programme électoral de Syriza. L’eurogroupe, souhaiterait notamment un report supplémentaire de l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans, ce que le gouvernement grec refuse. A la place, Alexis Tsipras, a proposé sa propre liste de réformes. Il s’agit d’accentuer la lutte contre l’évasion fiscale et d’améliorer la collecte de l’impôt, de relever la tranche supérieure d’imposition sur le revenu de 42 à 45 %, et de relever le taux de la TVA sur les produits de luxe.

On voit ici que la position des créanciers et du gouvernement grec est incompatible. Alors que les premiers, qui représentent les intérêts du capital financier, entendent baisser le coût du travail en attaquant le système de retraite, le gouvernement d’Alexis Tsipras a présenté une série de mesures de gauche, c’est à dire ciblant les plus fortunés et les intérêts financiers. L’opposition entre les représentants du FMI, de la commission et de la BCE, et le gouvernement Syriza, cristallise donc la lutte entre le capital financier et le peuple. Cependant, dans un contexte de surendettement et de dépendance totale vis à vis des créanciers, Syriza n’a guère de marge de manœuvre. Seul un défaut sur la dette pourrait redonner au pays la maîtrise de son destin économique et budgétaire, défaut cependant synonyme d’une sortie de l’euro à laquelle le gouvernement n’est pas favorable.

La seule carte qui reste à jouer, et que le gouvernement grec pourrait prochainement abattre, semble être la Russie. Le pays a en effet proposé plusieurs fois à Athènes son aide financière.

Le ministre de l’énergie grec Panagiotis Lafazanis s’est rendu lundi à Moscou afin de négocier une remise sur les tarifs du gaz ainsi qu’un allègement des mesures de rétorsion prises par Moscou suite aux sanctions occidentales, et qui touchent principalement le secteur agricole.

Alexis Tspiras a ainsi avancé la date de sa visite officielle en Russie au 8 avril, c’est à dire la veille de l’échéance du prêt du FMI. La Russie pourrait ainsi négocier un soutien financier à la Grèce en échange d’un soutien diplomatique d’Athènes et notamment un veto en cas de nouvelles sanctions de l’UE. Le premier ministre grec n’a du reste jamais caché qu’il désapprouvait la politique de sanctions à l’égard de la Russie…

Il est dans l’immédiat impossible de prévoir l’issue du bras de fer engagé entre le gouvernement grec et les créanciers, il faut cependant noter que même une issue jugée « positive », c’est à dire un accord, ne réglerait pas le problème grec mais ne ferait qu’ajouter de nouvelles dettes aux anciennes et ne rendrait pas l’économie hellénique plus viable pour autant. Un défaut semble donc inévitable, la seule question portant sur son échéance et son architecture.

Quels risques fait peser un défaut grec sur le système financier européen ?

Les politiques mises en place au niveau européen sont le fait de représentants du système financier et sont menées dans le but principal de défendre les intérêts du secteur. C’est le cas avec Mario Draghi, ancien vice président de la banque Goldman Sachs pour l’Europe entre 2002 et 2005, mais aussi Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre luxembourgeois et chef d’orchestre de l’évasion fiscale dans le duché qui a permis à plus de 300 multinationales d’échapper à l’impôt dans les pays où elles exerçaient leurs activités. En France le ministre de l’économie actuel, Emmanuel Macron, est un ancien associé-gérant de la banque d’affaires Rotschild.

Pour comprendre les enjeux d’un éventuel défaut grec et les concessions que les milieux financiers sont prêts à accorder au gouvernement Tsipras, il faut donc mesurer les risques pour le système bancaire. Ors, sur les 320 milliards d’euros de dette grecque, la majeur partie a été endossé par les états de l’eurozone. Le Fonds Européen de Stabilité Financière, qui est un organisme de mutualisation du risque garantit par les états, en détient près de 142 milliards. 52 milliards d’euros sont détenus par différents pays européens dans le cadre de prêts bilatéraux, et 32 milliards par le FMI. Au total, seuls 54 milliards d’euros sont détenus par des fonds privés, et essentiellement des banques grecques. On voit donc que la Grèce est loin de représenter un risque « systémique » pour le système bancaire européen qui bénéficie de plus du programme de refinancement via le rachat de titres de dettes souveraines initié en janvier par la BCE à hauteur de 60 milliards d’euros par mois. Les pertes du secteur privé en cas de défaut grec seront donc transférées au bilan de la BCE, le QE tombe à point nommé… Quant aux 194 milliards de dette détenus par les états européens, ils ont déjà été empruntés sur les marchés et se trouvent donc dors et déjà intégrés au service actuel de la dette. Un défaut grec ne changerait donc pas grand chose pour les finances publiques des états concernés.

Alors que le système financier et ses représentants au sein des institutions politiques de l’UE n’a donc strictement rien à perdre à un défaut grec, le pays s’exposerait lui à un risque et à une instabilité importants. Un défaut, s’il permettait effectivement de sortir le pays de l’asservissement à la dette, ne signifierait pas pour autant une sortie de crise pour l’économie nationale, notamment en raison de la forte dévaluation de la drachme qui suivrait invariablement la sortie de l’eurozone, et qui serait aggravée par les attaques spéculatives. La dévaluation générera une inflation importante, notamment en ce qui concerne les matières premières, du fait que la Grèce est importateur net.

Le système financier n’a donc aucun intérêt à céder face au gouvernement Syriza, il est en effet gagnant dans le cas d’un accord comme dans celui d’un défaut grec et d’une sortie du pays de l’eurozone. Le seul scénario véritablement contrariant serait celui d’un rapprochement du pays avec la Russie et la Chine, dont les systèmes financiers sont maintenant largement autonomes. La crise de la dette publique se changerait alors en crise politique entre l’UE et la Grèce, mais surtout les états-unis, et ses conséquences seraient beaucoup moins prévisibles. Si Alexis Tsipras se décide à jouer ce dernier atout, il pourrait s’avérer beaucoup plus déterminant…

Guillaume Borel – 02 avril 2015 –

Ender

11 Commentaires

  1. voilà qui va occuper l’info pendant 10 jours alors que les protagonistes joue le scénario qui leur a été donné…
    tremblez bonnes gens….. la fiiinnnnnn du moooonnnnde….
    et le 15 au matin ho bha flute alors c’est pas encore pour ce coup-ci

    est-ce que le gentil Tsipras (sisi elus par le peuple et tout et tout) trouvera t-il des paroles magiques pour faire pliér la bce ou vendra t-il se qui reste de son pays au plus offrant …. j’suis bon prince j’lui offre 1€

    en attendant il va se vendre des rouleaux de saupalain jusqu’au 14 dans les médias

    Sinon vous trouvez pas qu’il fait un peux frisquet en ce début d’avril

  2. Tout d’abord la Grèce a les moyens de payer les 460 et dès millions d’€ au FMI le 9 avril. C’est assez récent, et il est vrai que Tsipras ne le savait pas encore lorsqu’il a pris RDV avec Poutine pour le 8 avril. Ensuite, même si la Grèce ne paye pas le 9 avril, il n’y a pas immédiatement défaut, il y aura 1 mois pour s’y conformer.

    C’est qu’à la surprise générale, les recettes grecques ne sont pas si mauvaise que cela, et elles ne pourront aller qu’en augmentant au fur et à mesure du temps et des réformes votées par le gouvernement grec. Par exemple, il est prévu que la TVA rentre directement sur un compte de l’état lors de payement bancaire, ce qui est le must pour les liquidités.

    ATTENTION je suis en avance sur ce qui viendra, comme bon spéculateur boursier que je suis, je vois déjà ce qui va suivre. Les investissements en Grèce vont s’accélérer. Déjà, après le “nettoyage” fait par le gouvernement de Syriza pour faire partir ceux qu’ils ne voulaient pas, les nouveaux investisseurs commencent à se présenter. Il va y avoir un “rally” lent, fluctuant, à la bourse d’Athènes. Savez-vous que plusieurs agences de notations américaines (les habituelles quoi) ont toutes dégradé la Grèce, sa dette, ses banques … SANS AUCUN EFFET BOURSIER (alors qu’avec l’ancien gouvernement ND-Pasok, ce n’était pas le cas)!! La claque subit par ses agences de notation est ENORME!! Alors qu’elles avaient l’habitude de faire la pluie et le beau temps sur les marchés, là, elles sont simplement inexistantes, sans aucun pouvoir!

    Il faut aussi arrêter de regarder la dette grecque uniquement en pourcentage du PIB. Certes, elle est très élevée, mais le PIB grec a aussi chuté de plus de 25% depuis 2008! En valeur absolue, elle n’est “que” de 320 milliards, c’est 110 milliards de moins que la Belgique à population identique, et par tête d’habitant, elle est moindre que pour la France! Mais la Grèce a l’avantage, que la Belgique et la France n’ont plus, c’est sa capacité à se développer et donc augmenter de surcroit son PIB! Ce n’est pas pour rien que la Chine l’a sélectionnée, et la Russie, sans l’avouer publiquement, comme à son habitude, sait très bien l’intérêt qu’elle peut en tirer. Elle ne va pas laisser passer ce RDV du 8 … et du 9 avril. Les richesses du sol grec sont déjà immenses. Et ce n’est pas pour rien que l’UE veut maintenir la Grèce sous perfusion sans lui laisser la moindre perspective de développement.

    • exactement
      et c’est valable pour les autres pays,sous la coupe de la Bce
      à une différence prés avec la grece:

      elle a du potentiel,tant sur le plan de son sous sol,son tourisme..les autres ,le potentiel,euh…moins sure comme investissement,l’espagne avec ses villes fantomes,neuves,à ses chances..aussi

      mais,ça mettra la puce à l’oreille à d’autres pays,pour éventuellement(ah oui) rejoindre les investisseurs russes
      et chinois,pour épurer leurs dettes souveraines..

      serait-ce les prémices d’un euro dévalué fortement,au profit du roi dollar,vers lequel déjà les investisseurs se tournent,en assez grand nombre et montant financiers.

      pour encore le maintenir crédible,pour si peu plutôt
      débile!…(ça rime)

    • @dstati : vous avez raison, le gouvernement grec va probablement pouvoir trouver 450 millions d’euros, il a déjà par le passé pioché dans les caisses de retraite, par exemple, pour payer des échéances. Cependant, sans liquidités de la BCE, il ne tiendra pas deux mois et l’insolvabilité conduira inévitablement au défaut.
      Un défaut serait une bonne nouvelle pour l’économie grecque, passées les turbulences liées à une sortie de l’euro. Deux questions demeurent : les créanciers et l’Allemagne sont-ils prêts à accepter une telle éventualité ?
      Tsipras est-il prêt à aller jusqu’au défaut ? C’est peu probable, il a d’ailleurs affirmé à de multiples reprises vouloir rester dans l’eurozone. Comme par le passé, un accord de dernière minute sera probablement trouvé et les créanciers seront “sauvés” de justesse… L’accord sera t-il favorable à Syriza ou aux créanciers ? C’est là que la carte Russe peut faire pencher la balance…

  3. nous retrouvons en Direct,mesdames et monsieurs
    de la bourse de paris,
    glaire chazal (sans faute)

    http://boutique.ina.fr/video/economie-et-societe/vie-economique/I08163792/claire-chazal-a-la-bourse-de-paris.fr.html

    pas douée, déjà à l’époque
    (pardon aux “claire”)

  4. Allez Tsipras, montre a tous ces emplumés de l’Euroggglllllll (ils me font vomir) que les Grecs ne sont pas des oiseaux pour le chat BCE/Lagarde mais des Ptérodactyles…
    Lève toi, quitte la table des négos et inscrit la Grêce a l’association asiatique, appuie sur le bouton et tu nous libereras TOUS.

  5. Désolé de vous décevoir mais je participais hier à une réunion publique avec Giorgios Karatsioubanis, membre de l’équipe de politique européenne de Syriza.

    Je lui ai demandé pourquoi son parti avait choisi finalement de pactiser avec le diable (la troïka) plutôt que de sortir de ce diktat. Sa réponse a été très vague. Je pense que ce parti a tout bonnement fait le choix de se plier à une partie des exigences des technocrates de Bruxelles pour pouvoir accéder au pouvoir. Cela a finalement permis de calmer le peuple Grec et de faire dégonfler illico le soufflet d’optimisme crée par leur accession au pouvoir. Leurs prises décisions sont pour le moment plus démagogiques que vraiment embarrassantes pour l’eurogroupe. S’ils acceptent de négocier, ils acceptent alors des compromis, ils acceptent aussi le Tafta.

    Il m’a “choqué” dans sa réponse en disculpant la troïka et en affirmant que la situation actuelle du pays était surtout causée par l’ancien gouvernement.
    Il n’a pas tort mais on ne peut minimiser les effets néfastes de la politique d’austérité imposée par la troïka (voir le doc Catastroika)

    Les oligarques sont trés malins et la maitrise des extrêmes fait partie de leur plan de route. C’est par exemple le cas en France (le franc maçon Mélanchon à gauche, le néo pro sioniste Le Pen à droite), ça me semble être la même chose en Grèce.

Les commentaires sont clos.