Tomates sans eau ni pesticide : cette méthode fascine les biologistes

Les méthodes de Pascal Poot, loin de l’agriculture moderne, sont aussi hyperproductives que naturelles et peu coûteuses. Des scientifiques fresh-241045_640pensent y trouver des réponses au changement climatique.

Ici, le terrain est si caillouteux et le climat si aride que les chênes vieux de 50 ans sont plus petits que les hommes.

Pourtant, à l’entrée de la ferme de Pascal Poot, sur les hauteurs de Lodève (Hérault), trône une vieille pancarte en carton : « Conservatoire de la tomate ».

Les tomates poussent, sans eau et sans tuteur, dans la ferme de Pascal Poot en 2014 (DR)

Pourtant, chaque été, les tomates Poire jaune et autres Noires de Crimée poussent ici dans une abondance folle.

Sans arrosage malgré la sécheresse, sans tuteur, sans entretien et bien sûr sans pesticide ni engrais, ses milliers de plants produisent jusqu’à 25 kg de tomates chacun.

Son secret ? Il tient dans les graines, que Pascal Poot sème devant moi, avec des gestes qui mêlent patience et nonchalance.

C’est le début de la fin de l’hiver dans la région, le temps est venu pour lui de confier ses graines à la terre. Ce sont ses premiers semis de l’année.

L’homme a 52 ans mais semble sans âge. Ce fils d’agriculteurs, qui a quitté l’école à 7 ans, se dit « complétement autodidacte ». Il a élevé des brebis et cultivé des châtaignes avant de se spécialiser dans les semences. Il dissémine aujourd’hui ses graines sur du terreau, dans des jardinières fatiguées.

Puis il place ses jardinières sur un énorme tas de fumier en décomposition, dont la température atteindra bientôt 70 degrés pendant plusieurs jours, chauffant la serre et permettant la germination des graines.

La technique, appelée couche chaude, est très ancienne. C’est elle qui permettait aux maraîchers parisiens du XIXe siècle de récolter des melons en pleine ville dès la fin du printemps. C’est elle qui permet à Pascal Poot de faire germer chaque année des milliers de plants de tomates, aubergines, poivrons… Avant de les planter sur son terrain et de ne plus s’en occuper jusqu’à la récolte.

Tout en semant ces graines, Pascal me révèle les détails de sa méthode :

« La plupart des plantes qu’on appelle aujourd’hui “mauvaises herbes” étaient des plantes que l’on mangeait au Moyen-Age, comme l’amarante ou le chiendent… Je me suis toujours dit que si elles sont si résistantes aujourd’hui c’est justement parce que personne ne s’en est occupé depuis des générations et des générations.

Tout le monde essaye de cultiver les légumes en les protégeant le plus possible, moi au contraire j’essaye de les encourager à se défendre eux-mêmes. J’ai commencé à planter des tomates sur ce terrain plein de cailloux il y a une vingtaine d’années, à l’époque il n’y avait pas une goutte d’eau.

Tout le monde pense que si on fait ça toutes les plantes meurent mais ce n’est pas vrai. En fait, presque tous les plants survivent. Par contre on obtient de toutes petites tomates, ridicules. Il faut récolter les graines du fruit et les semer l’année suivante. Là on commence à voir de vraies tomates, on peut en avoir 1 ou 2 k par plant.

Et si on attend encore un an ou deux, alors là c’est formidable. Au début on m’a pris pour un fou mais au bout d’un moment, les voisins ont vu que j’avais plus de tomates qu’eux, et jamais de mildiou, en plus, alors les gens ont commencé à parler et des chercheurs sont venus me voir. »

Parmi ces chercheurs, on compte Bob Brac de la Perrière, biologiste et généticien des plantes et coordinateur de l’association environnementale Bede :

« A la fin des années 90, au moment du combat contre les OGM, on s’est dit qu’il fallait aussi travailler sur les alternatives, et on a commencé à faire l’inventaire des agriculteurs qui faisaient leurs propres semences. On a dû en trouver entre 100 et 150 en France.

Mais le cas de Pascal Poot était unique. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il a une grande indépendance d’esprit, il suit ses propres règles et à ma connaissance personne ne fait comme lui. Il sélectionne ses semences dans un contexte de difficulté et de stress pour la plante, ce qui les rend extrêmement tolérantes, améliore leur qualité gustative et fait qu’elles sont plus concentrées en nutriment.

En plus de ça il cultive plusieurs centaines de variétés différentes, peu d’agriculteurs ont une connaissance aussi vaste de l’espèce qu’ils cultivent. »

Les chercheurs commencent seulement à comprendre les mécanismes biologiques qui expliquent le succès de la méthode de Pascal Poot, assure Véronique Chable, spécialiste du sujet à l’INRA-Sad de Rennes et qui a mené des recherche sur les sélections de Pascal Poot depuis 2004 :

« Son principe de base, c’est de mettre la plante dans les conditions dans lesquelles on a envie qu’elle pousse. On l’a oublié, mais ça a longtemps fait partie du bon sens paysan.

Aujourd’hui, on appelle cela l’hérédité des caractères acquis, en clair il y a une transmission du stress et des caractères positifs des plantes sur plusieurs générations.

Il faut comprendre que l’ADN est un support d’information très plastique, il n’y a pas que la mutation génétique qui entraîne les changements, il y a aussi l’adaptation, avec par exemple des gènes qui sont éteints mais qui peuvent se réveiller.

La plante fait ses graines après avoir vécu son cycle, donc elle conserve certains aspects acquis. Pascal Poot exploite ça extrêmement bien, ses plantes ne sont pas très différentes des autres au niveau génétique mais elles ont une capacité d’adaptation impressionnante ».

Cette capacité d’adaptation a une valeur commerciale. Pendant ma visite, plusieurs personnes ont appelé Pascal pour commander des semences. L’agriculteur vend ses graines à plusieurs semenciers bio, dont Germinance.

Kevin Sperandio, artisan semencier chez Germinance, nous explique :

Des aubergines blanches poussent dans la ferme de Pascal Poot (DR)

« Le fait que les semences de Pascal Poot soient adaptées à un terroir difficile fait qu’elles ont une capacité d’adaptation énorme, pour toutes les régions et les climats.

Nous n’avons pas les moyens de faire ce genre de tests mais je suis sûr que si on faisait un test entre une variété hybride, celle de Pascal Poot et une semence bio classique ce serait celles du conservatoire de la tomate qui obtiendraient les meilleurs résultats. »

Une partie de ces graines sont vendues dans l’illégalité, parce qu’elles ne sont pas inscrites au catalogue officiel des espèces et variétés végétales du GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences et plants). Cela énerve beaucoup Pascal Poot, jusque là très calme :

« L’une de mes meilleures variétés, c’est la Gregori Altaï. Mais elle n’est pas inscrite au catalogue, peut-être parce qu’elle n’est pas assez régulière pour eux. Beaucoup de variétés sont comme ça. A l’automne dernier, le semencier Graines del Païs a eu un contrôle de la répression des fraudes qui a établi près de 90 infractions dans leur catalogue.

Le principe c’est qu’on ne nous autorise à vendre que les graines qui donnent des fruits qui sont tous pareils et qui donnent les mêmes résultats à chaque endroit. Pour moi, c’est le contraire du vivant, qui repose sur l’adaptation permanente. Cela revient à produire des clones mais on veut en plus que ces clones soient des zombies. »

Source et article en intégralité: Rue89

 

Benji

21 Commentaires

  1. sans pesticide ok mais sans eau impossible ,il en faut à un moment

  2. Super intéressant ! cette expérience unique montre comment les plantes peuvent s’adapter progressivement à son milieu par la génétique. Bravo à cet homme !
    Des pratiques et expériences de plusieurs années existent sur les tomates sans eau, tel que :
    la technique du BRF dans une région où le sol est difficile : les causses du Quercy et le climat en été souvent sec et chaud.
    Et il n’y a pas que les tomates… courgettes, carottes…

    http://fermedupouzat.free.fr/?page_id=37

  3. Et voila encore un Français qui va devenir le PIRE cauchemar des Ricains, en l’occurence des crapules de Monsanto.

    Si la technique de Poot se généralise aux pays du Sud ben c’est la fin pour les OGM! https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_yahoo.gif

  4. En attendant avec cette éclipse mes plants de tomates ont stoppé leur croissance, et ça repart plus là https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_cry.gif , …quelqu’un aurait-il une solution pour faire repartir ? (ils ont 2 feuilles et mesurent 3 à 4 cm) Merci ! https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_sad.gif

  5. bonjour a tous,
    ca me fait plaisir d’entendre parler de Pascal Poot que je connais pour avoir fait un stage de 2 jours chez lui il y a quelques années (dans le cadre de l’association Savoir faire et découverte). Le personnage est effectivement atypique (genre babacool mais très calé en agriculture et observation du vivant) mais attachant et très intéressant.
    Et n’en déplaise aux détracteurs, il ne pleut effectivement quasiment pas chez lui (quand j’y suis allé il n’avait pas plus pendant 18mois) : en fait il habites en altitude et les nuages sont bloqués par la montagne. Micro-climat très particulier.
    J’ai fait des plantations de tomates avec lui et il fait un grand trou pour la planter, arrose d’au moins 4-5 litres puis plus rien.
    Le truc c’est que cela force la plante à faire des racines profondes pour aller trouver l’eau; de plus son terrain est très caillouteux et il les laisse car l’humidité de la nuit reste dessous une partie de la journée. Les plantes n’étant pas arrosées (de toute façon il a trop de pieds pour le faire) il n’y a pas de mildiou.
    Autre particularité : par de tuteurage. Il laisse courir les plantes au sol; Je pense que par contre cette technique ne marche pas s’il pleut beaucoup : les tomates vont pourrir.

    Toute la technique est dans le fait d’utiliser des races rustiques qui ont un patrimoine génétique riche. Cette technique est impossible avec les plants du commerce, qui sont très fragiles et pauvres, sélectionnés uniquement sur leur caractère productif.

    • Merci de tes informations jerry99. 🙂
      Sûr que dans les régions humides, il vaudra mieux les guider vers le haut.
      En somme le patrimoine génétique s’exprime davantage dans la difficulté.
      Ce qui nous amène à réfléchir à la mémoire des plantes.
      Waouh !! …

  6. Merci pour les précisions, Jerry. Sans eau à Lodève, j’avais du mal à le croire. Aussi tes précisions sont importantes.

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