« Toujours plus vite » : ces dissidents pour qui il est urgent de ralentir

Toujours plus vite, toujours plus arton4307-57fa1pressés. Nous sommes entrés dans l’ère de l’immédiateté, celle des profits, celle de l’information, celle de la satisfaction individuelle. Que traduit cette accélération de nos modes de vie ? Avec quels risques dans une planète aux ressources limitées ? Comment résister à cette injonction du toujours plus vite ? C’est ce qu’interroge Philippe Borrel dans son dernier film, L’urgence de ralentir, diffusé le 2 septembre sur Arte. Il est allé à la rencontre de ceux qui expérimentent des alternatives concrètes à contre-temps du modèle dominant néolibéral. Basta ! et Mediapart vous proposent des séquences inédites de son film.

L’immédiat et la vitesse sont devenus la norme. L’accélération, notre rythme quotidien. « Mais à quel prix ? Et jusqu’à quand ? » interroge le réalisateur Philippe Borrel [1] dans son dernier film, L’urgence de ralentir. « Ce que nous vivons, appuie l’économiste Geneviève Azam, c’est vraiment la colonisation du temps humain dans toutes ses dimensions – biologique, social, écologique – par le temps économique. C’est un temps vide, sans racine, sans histoire, seulement occupé par la circulation des capitaux ». Directement pointés du doigt, les milieux financiers et la logique d’actionnaires en attente d’une rentabilité immédiate.

Illustration de cette accélération financière et technologique, le trading haute fréquence dans lequel les algorithmes ont remplacé les hommes. « Le marché est un serveur mettant en relation des acheteurs et des vendeurs qui sont désormais des algorithmes, relate Alexandre Laumonier, auteur de 6. Un ordre est exécuté au New York Stock Exchange en 37 microsecondes, soit 1350 fois moins de temps qu’il n’en faut pour cligner de l’œil… » Le rythme est désormais dicté par les machines. « Celui qui compressera le temps le plus rapidement possible gagnera la partie », assène le sociologue Douglas Rushkoff. A moins que les catastrophes écologiques, économiques et sociales annoncées ne prennent les devants.

Résister à la société de consommation

Croisant les réflexions de sociologues, philosophes et économistes, le film de Philippe Borrel ne montre pas seulement les effets du néolibéralisme. Il filme celles et ceux qui tentent de faire émerger des alternatives constructives à la logique d’accélération généralisée. C’est dans le Val de Suse, en Italie, que Philippe Borrel pose d’abord sa caméra. Depuis vingt ans, la résistance s’organise face au projet de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin évalué à 26 milliards d’euros (voir nos articles). Outre les scandales financiers de ce projet, les militants interrogent le modèle de développement qu’il préfigure. « Si quelque chose doit s’accélérer ce sont les idées et pas les personnes ou les marchandises, confie un membre des No Tav. La modernité ce n’est pas d’aller plus vite, c’est d’avancer avec plus de sagesse. »

Passage incontournable à Notre-Dame-des-Landes, où les occupants de cette zone dénoncent « le projet d’aéroport et le monde qui va avec » (notre dossier). Dans cette zone de bocage, ils réinvestissent les terrains en plantant des vergers, des haies, en défrichant, drainant, repiquant des semis… « Rendre fertile ce qu’ils veulent rendre stérile, là est notre force », assurent les opposants au projet d’aéroport. Bien évidemment, d’une lutte à l’autre, les stratégies varient. Certains ont décidé de se couper complètement de la société de consommation. C’est le cas de la Wildroots Community, basée dans les Appalaches en Caroline du nord. Elle a été fondée par un ancien ingénieur et sa compagne. En pleine forêt, cette communauté de « survivalistes » accueille ceux qui, comme eux, veulent réapprendre à vivre en pleine autonomie au cœur de la nature.

Se réapproprier la technologie

« La réponse du capitalisme à l’urgence climatique reste uniquement technologique et ne remet jamais en cause ce qui, dans son fonctionnement, contribue au dérèglement des écosystèmes », analyse Philippe Borrel. Fort de ce constat, il est allé à la rencontre de Bunker Roy, le fondateur du Barefoot College en Inde. « Depuis quinze ans, il recrute des femmes illettrées dans les milieux ruraux d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie pour les former pendant six mois à l’ingénierie solaire et à l’autonomie énergétique », relate le réalisateur. Plus de 300 ingénieures solaires auraient ainsi été formées depuis le lancement du projet. Ici, la technologie est démystifiée et réappropriée collectivement.

Aux États-Unis aussi, des systèmes d’apprentissage alternatifs se mettent en place. C’est ainsi qu’à deux pas des sièges de Google et de Facebook, au cœur de la Silicon Valley, une école interdit l’usage des ordinateurs ou des portables aux élèves jusqu’à la classe de seconde. « Nous amenons la technologie aux élèves seulement quand ils sont en mesure de la comprendre, explique une professeure. Je veux que mes élèves soient excités à l’idée d’apprendre. » Au-travers d’apprentissages concrets comme la permaculture, les enseignants espèrent développer chez les enfants des capacités d’innovation et d’adaptation à un monde en mutation accélérée. « L’éducation est la clé, c’est l’espoir de voir des êtres humains capables de penser librement ».

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Benji

12 Commentaires

  1. https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_good.gif Super Benji, ça donne envie de le regarder ce reportage « L’urgence de ralentir » (ce soir sur Arte à 22h40). Merci ! https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_rose.gif

  2. Qu’on ne me fasse pas croire que les grands de ce monde ne savent rien sur le nouvel ordre mondial et son projet de future monnaie électronique.

    Fuir le dollar via une monnaie dématérialisée, c’est jouer sur la totale méconnaissance des citoyens sur ce que certains préparent à l’avenir.

    http://rt.com/news/183960-ecuador-currency-digital-dollar/

  3. Tellement vrai cet article !
    En fait l’urgence de courir droit dans le mur uniquement pour quelques dollars de plus !
    C’est de la pure folie https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_unsure.gif

  4. Geneviève Azam, laissez-moi rire…jaune.

  5. Cet article a fait écho de façon directe avec certains passages de lectures qui m’avaient assez frappée pour que j’en garde le souvenir… et que pour je réussisse à les retracer. Je crois bien qu’ils sont assez intéressants pour mériter d’êtres partagés en lien avec cet article:

    « Ce qui est le plus étrange, c’est que le mouvement et le changement sont véritablement recherchés pour eux-mêmes, et non en vue d’un but quelconque auquel ils peuvent conduire ; et ce fait résulte directement de l’absorption de toutes les facultés humaines par l’action extérieure, dont nous signalions tout à l’heure le caractère momentané. C’est encore la dispersion envisagée sous un autre aspect, et à un stade plus accentué : c’est, pourrait-on dire, comme une tendance à l’instantanéité, ayant pour limite un état de pur déséquilibre, qui, s’il pouvait être atteint, coïnciderait avec la dissolution finale de ce monde ; et c’est encore un des signes les plus nets de la dernière période du Kali-Yuga. » (René Guénon, La Crise du Monde Moderne)

    « L’action destructrice du temps ne laisse subsister que ce qui est supérieur au temps : elle dévorera tous ceux qui ont borné leur horizon au monde du changement et placé toute réalité dans le devenir, ceux qui se sont fait une religion du contingent et du transitoire, car « celui qui sacrifie à un dieu deviendra la nourriture de ce dieu » ; mais que pourrait-elle contre ceux (les Orientaux) qui portent en eux-mêmes la conscience de l’éternité ? » (René Guénon, Études sur l’hindouisme)

    « La marche descendante du cycle et le déclin progressif de l’humanité ne s’accomplissent cependant pas d’une façon homogène. En effet, le temps n’étant pas sous tous les rapports une quantité parfaitement mesurable, on peut dire qu’à durées égales mais à époques différentes, la notion du temps sera vécue parfois tout autrement. Le phénomène est d’ailleurs tout à fait observable dans la vie de l’être humain qui, depuis le stade de l’enfance jusqu’à celui de la vieillesse, voit, d’une façon presque tangible, le temps s’accélérer progressivement jusqu’à ce que celui-ci rencontre son point d’arrêt. En réalité, le temps n’entre dans le cycle que progressivement et c’est ce qui donne cette impression d’accélération due à son importance grandissante. Au commencement, il n’y a que l’espace, c’est-à-dire l’immobilité. Le temps n’intervient qu’avec la mise en marche du cycle et dans une proportion d’abord infime; c’est de cette façon que l’on peut dire que le temps «dévore» progressivement l’espace, ou qu’il n’est que le «pourrissement» de l’espace. Le temps revêt ainsi un aspect «titanesque» fort bien mis en évidence dans le mythe de Saturne dévorant ses enfants, comme dans certaines caractéristiques du Diable (ou de Satan) que nous aurons à examiner au cours de cet exposé. Alors que l’espace n’est que l’expression du principe cosmique d’expansion, le temps représente pour ainsi dire, celui de la contraction, ce qui rappelle le symbolisme de l’Ouroboros, où le serpent incarne à la fois le cycle cosmique et la puissance obscure qui préside à son achèvement. Ainsi, de même que toute manifestation s’effectue à partir d’une expansion qualitative vers une contraction quantitative, on peut dire que, sous un certain rapport, tout processus de manifestation évolue également d’un espace absolu vers un temps absolu, ce que confirme le proverbe arabe:

    “La lenteur est de Dieu, la hâte est de Satan”

    La marche du cycle vers le temps absolu n’est cependant qu’illusoire, puisque, poussée jusqu’à son extrémité, l’accélération du temps devrait fatalement se résoudre en un instant unique, ce qui reviendrait à restaurer un nouvel espace. Ainsi, Satan accélère en lui-même sa propre destruction, tout en demeurant le principe de celle-ci, du fait qu’il cherche à entraîner dans sa chute cosmique tout ce qu’il lui est possible de «séduire»:

    “La Gloire et l’anéantissement du monde sont le propre du Diable”

    (Dominique Viseux, L’Apocalypse: son symbolisme et son image du monde)

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