Droit à l’oubli sur Internet : la cour européenne de justice ouvre la porte à la censure généralisée

L’arrêt rendu par la cour de justice européenne du Luxembourg, instaurant un “droit à l’oubli” sur Internet pourrait dans les faits conduire à l’instauration d’une censure généralisée. Le procédé partait pourtant d’une bonne intention, puisque le  “droit à l’oubli” permettait aux internautes de pouvoir faire supprimer les données les concernant sur une simple demande au niveau des sites hébergeant les données. Mais comme souvent lorsqu’il s’agit de légiférer sur les nouvelles technologies, les bonnes intentions peuvent s’avérer dans les faits à l’origine d’effets désastreux.

La volonté de légiférer à tout prix et de vouloir encadrer juridiquement les usages du web, conduisent ainsi en pratique à produire des aberrations législatives qui posent d’énormes difficultés d’application et créent des imbroglios juridiques eux-mêmes générateurs d’effets pervers.

En pratique, le “droit à l’oubli” constitue donc une défense des droits de la personne. Les individus concernés disposent de la possibilité de faire supprimer des informations, le plus souvent diffamatoires ou plus généralement susceptibles de porter atteinte à leur image ou à leur réputation, en contactant les sites ayant publié les données ou en saisissant la justice qui se chargera alors de faire appliquer ce droit.

La décision de la cour européenne de Luxembourg va cependant plus loin et étend ce droit aux résultats des moteurs de recherche. Son arrêt rendu face à Google, estime en effet que ces derniers sont responsables du traitement des données qui apparaissent sur leurs pages Internet (donc dans les résultats de recherche) et ont l’obligation, dans certains cas, de les supprimer.

Dans un premier temps, on peut penser effectivement qu’il s’agit d’une avancée dans le sens de la protection des personnes et de la vie privée mais les informations visées par l’arrêt de la cour de justice européenne dépassent le cadre de la diffamation et de l’atteinte à l’image de la personne. Il s’agit en pratique de toutes données qui pourraient “nuire” parce qu’elles seraient “inadéquates”, “excessives” ou simplement “périmées”. On voit que le champ d’interprétation est large et permet d’englober à peu près tout et n’importe quoi.

Cette “avancée” va donc se faire au détriment de la liberté de l’information et pourrait déboucher sur la mise en place d’une censure généralisée. Pour s’en convaincre, il faut remonter aux origines du litige pour lequel a été saisie la cour européenne de justice.

Le Journal le Parisien en donne le résumé suivant :

Le point de départ de l’affaire remonte à 1998, lorsque le journal espagnol La Vanguardia a publié dans son édition papier des annonces concernant une adjudication sur saisie immobilière pour recouvrement de dette visant une personne dont le nom était mentionné.
Une version électronique du journal a par la suite été mise en ligne. En novembre 2009, l’intéressé, Mario Costeja Gonzalez, estimant que la mention de son nom n’était plus pertinente car la procédure relative à ses dettes avait été réglée depuis des années, a déposé une réclamation auprès de l’Agence espagnole de protection des données visant Google.

L’information publiée en ligne  par le journal était-elle erronée ? Non. Les faits mentionnés se sont-ils bien produits ? Oui. Simplement, le plaignant a estimé que les porter à la connaissance du public portait atteinte à son image et que les données étaient “périmées” puisque la procédure était terminée. Voyez-vous où tout cela peut nous conduire ?

Que penseriez-vous si M Sarkozy (au hasard) faisait disparaître en vertu du “droit à l’oubli” tous les résultats de recherche pointant vers l’affaire Bettencourt, ou Karachi, Buisson, Khadafi, etc… et vers toutes les procédures judiciaires dans lesquelles il s’est trouvé impliqué ?

Cette petite compilation réalisé par le journal Slate, ne serait ainsi plus accessible par les résultats du moteur de recherche Google. Le droit à l’oubli se transformerait en amnésie collective, il s’oppose ainsi frontalement au droit à l’information des citoyens… C’est bien ce qui est proposé pour les particuliers. A quand pour les personnalités publiques ?

 Devant le succès de la procédure de saisie sur le site Internet du moteur de recherche, plus de 12000 demandes rien que pour Vendredi dernier, on peut se demander quelles sont les motivations concrètes des internautes, s’agit-il de personnes souhaitant effacer les traces d’un passé compromettant et peu glorieux ou de particuliers défendant réellement leur droit à l’oubli, notamment face à la diffamation ?

Concrètement l’application de l’arrêté de la cour de justice pose également de sérieux problèmes éthiques. Afin d’évaluer la légitimité des demandes, le moteur Google a en effet dû mettre en place une structure juridique dédiée. C’est cette structure privée qui est chargée d’évaluer la recevabilité des demandes, et qui se trouve donc chargée de l’interprétation du droit, il s’agit d’une délégation des prérogatives du ministère publique à une entreprise privée.

On assiste à une privatisation du droit puisque c’est Google qui jugera de la recevabilité des demandes des internautes, et non le ministère de la justice.

Cela revient également à remettre entre les mains des juristes de Google les questions d’arbitrage entre protection de la vie privée et droit à l’information, au lieu de confier ces questions centrales pour la vie démocratique aux juges du ministère public…

Cependant, de par la magie du web dont l’architecture décentralisée rend heureusement les censures techniques très peu efficaces, l’injonction faite aux moteurs de recherche et à Google de supprimer les liens vers les données jugées “incorrectes”  revient simplement à les dissimuler aux yeux du public puisqu’elles  resteront accessibles sur les sites de presse qui sont placés sous une législation spécifique. Il suffira donc, pour contourner la législation, d’utiliser un Proxy ou une version non-européenne de Google, qui permettront de continuer à accéder aux résultats supprimés sur la version européenne du moteur.

Mais attendez… utiliser un VPN pour pouvoir accéder à un Internet non censuré, ça ne vous rappelle rien ?

Oh Shit ! Amis internautes, bienvenue en Corée du Nord !

Ender

6 Commentaires

  1. L’intérieur veut que les FAI bloquent les sites terroristes sans compensation

    Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, est intervenu ce matin en commission des lois lors de la discussion de la proposition de loi de Guillaume Larrivé sur le terrorisme. Il a donné les positions du gouvernement sur ce texte qui imagine un blocage administratif tout en créant notamment un délit de consultation habituelle de sites terroristes.

    http://www.nextinpact.com/news/87933-linterieur-veut-que-fai-bloquent-sites-terroristes-sans-compensation.htm

  2. Bientôt ce sera la même censure (l’amnésie collective) que celle qu’évoquait Orwell dans sont fameux livre « 1984 » ; …on y va tout droit là !

    • Censurer les cerveaux ,de toute façon le cerveau n’est plus en service chez bcp de gents,en faire une pâtée pour pauvres chats ?.

  3. Il y a une différence entre supprimer les liens et purger tous les caches, les sauvegardes, etc. Rendre l’information inaccessible (?) ne veut pas dire la supprimer 😉

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