Cinq cents suicides recensés chez les agriculteurs en trois ans

Près de cinq cents suicides ont été enregistrés sur trois années – 2007, 2008 et 2009 – chez les agriculteurs français, selon l’Institut de veille sanitaire (INVS), qui publie, jeudi 10 octobre, la première étude officielle sur le sujet. Le suicide est ainsi la troisième cause de mort dans le monde agricole, après les cancers et les maladies cardiovasculaires, précise l’INVS.
Très attendue par le secteur, puisqu’elle constitue le premier état des lieux officiel sur ce sujet sensible, l’étude « s’inscrit dans le plan de prévention du suicide dans le monde agricole annoncé par le ministère de l’agriculture en mars 2011″, rappelle l’institut.

DES SUICIDES LIÉS AUX DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES

Au total, 417 hommes et 68 femmes se sont suicidés au cours de la période, avec une surmortalité particulièrement marquée chez les éleveurs (bovins-lait et bovins-viande) âgés de 45 à 64 ans. Selon l’institut, « la surmortalité par suicide a été de 28 % en 2008 et de 22 % en 2009″ chez les hommes dans le monde agricole.

« Ces observations coïncident avec la temporalité des problèmes financiers rencontrés dans ces secteurs sur la période d’étude », précise l’INVS, qui établit ainsi une corrélation directe entre suicide et difficultés économiques.

La population prise en compte pour ce premier rapport comprend les chefs d’exploitations agricoles et les collaborateurs de ces exploitations en activité, par conséquent « il s’agit bien d’une étude exhaustive » précisent les auteurs.

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Chez les agriculteurs, le taux de suicide est trois fois plus élevé que chez les cadres

« J’avais planqué un fusil et deux cartouches dans une serre. Mon épouse savait que j’étais à bout. Elle me faisait suivre partout par mon fils ». Sans le soutien de sa famille, Roger Pessotto, 66 ans, sait qu’il serait passé à l’acte. Le souvenir est encore frais, mais il veut témoigner.

Roger Pessotto a toujours voulu être agriculteur. Une belle carrière de maraîcher avec la fraise pour spécialité. « On est parti de rien. Et on est arrivé à rien ». Dans cette aventure, il avait pourtant tout donné, et sa fierté, c’était d’y être arrivé. Sa success-story avait même attiré les caméras d’une émission télévisée, quand son exploitation pesait encore entre « trente à quarante salariés ».
Et puis, il y a eu la tempête de 1999. « Six hectares de serres ravagés, 1,5 million de francs rien qu’en pertes occasionnées ». L’assurance n’a pas fonctionné. « En 2003, il y a eu la sécheresse et là, on a mis pied à terre ». S’ensuivent quatre années de procédures judiciaires. « J’ai tout perdu, ils m’ont tout pris. Toute ma vie. Même ma Renault 19, vieille de 400 000 km, fulmine Roger Pessotto. Ils ont même essayé de saisir la maison de ma belle-mère. Je n’étais plus rien, je n’ai eu droit qu’au mépris. »

Si Roger Pessotto s’en est sorti, nombreux sont ceux qui passent à l’acte. « En trente ans, on a recensé près de quarante suicides d’agriculteurs sur un secteur qui compte à peine 2 000 habitants, déplore Jean-Pierre Vigier, conseiller général de Haute-Loire et ancien président de la Mutualité sociale agricole (MSA) d’Auvergne. Et le constat est d’autant plus cruel que le phénomène semble s’accélérer. On a eu trois suicides ces six derniers mois dans un rayon de quinze kilomètres ».

« LE SUICIDE D’UN AGRICULTEUR NE FAIT PAS DE BRUIT »

Aucune région n’est épargnée. « C’est un problème d’ampleur nationale, que personne ne peut nier, parce qu’il se voit et s’entend sur le terrain. C’est comme un bruit de fond recouvert d’une chape de plomb », s’indigne Bernard Lannes, président de la Coordination rurale, qui tente depuis des années de briser la loi du silence. « C’est une situation très préoccupante », confirme de son côté Xavier Beulin, nouveau président de la FNSEA, qui en a fait une priorité de son mandat.

Problème, si la surmortalité par suicide chez les agriculteurs est une réalité, l’absence de données la rend difficile à appréhender. « On a parfois des estimations par région, mais elles ne sont jamais consolidées au niveau national », déplore la Coordination rurale.

Un agriculteur de Mézères (Haute-Loire).

Seule certitude, le taux de suicide chez les exploitants agricoles est trois fois plus élevé que chez les cadres. C’est la conclusion de la seule enquête officielle qui renseigne sur les suicides d’agriculteurs, réalisée par l’Institut de veille sanitaire (INVS), publiée en 2010 dans la Revue d’épidémiologie et de santé publique. « Nous avons analysé les causes de décès par secteur d’activité de 1968 à 1999″, détaille Christine Cohidon, médecin épidémiologiste à l’INVS. Une nouvelle étude est envisagée entre l’INVS et la MSA pour affiner les données.

« Le suicide d’un agriculteur ne fait pas de bruit, mais c’est souvent son ultime manière de dénoncer la situation de crise morale et sociale que vit notre secteur », s’indigne Bernard Lannes. « C’est une forme de désespérance qui s’est installée dans le monde agricole, observe Jean-Pierre Vigier. Ce sont des gens courageux, qui ne comptent pas leurs heures, qui ne prennent jamais de vacances, qui ont parfois dû s’endetter et qui sont contraints de travailler à perte. On ne leur laisse aucune échappatoire ».

« IL Y A TOUJOURS EU BEAUCOUP D’ENTRAIDE DANS LE MILIEU »

Aux difficultés économiques et financières et à l’absence de perspectives du secteur, semblent s’ajouter d’autres facteurs, comme l’isolement, le célibat. « La conduite suicidaire est un processus complexe et multifactoriel. Il est très difficile aujourd’hui de faire la part des choses entre les facteurs professionnels et personnels, qui sont dans ce mode d’exercice particulièrement mêlés », remarque Christophe David, médecin du travail en charge des risques psychosociaux à la Caisse centrale de la MSA.

Des groupes de paroles, des numéros de stress assistance, des réunions d’information, des cellules de prévention au suicide ont été mis en place dans plusieurs régions par les syndicats et par la MSA. Des associations, tels que l’Apli (Association des producteurs de lait indépendants), SOS Paysans, ou le Samu social agricole viennent aussi en aide aux agriculteurs les plus en difficultés.

« Il y a toujours eu beaucoup d’entraide dans le milieu, mais aujourd’hui les exploitants sont de plus en plus isolés. Pour recréer du lien social et lutter contre l’exclusion rurale, on essaie de s’organiser entre-nous en réseaux de solidarité », indique Damien Legault, 40 ans, ancien éleveur de veaux qui tente aujourd’hui une reconversion dans le bio, à Vritz, en Loire Atlantique. Lui aussi est « tombé plus bas que terre », le jour où crise oblige, le veau s’est brusquement dévalorisé.

« ILS NE M’AURONT PAS, JE SUIS BLINDÉ »

« On donne treize heures de travail par jour, y compris le dimanche, pour terminer en procédure judiciaire, en prise avec le tribunal, les créanciers, les banquiers, les fournisseurs. C’est très difficile à vivre ». Une situation qu’il ne connaît que trop bien, par son activité bénévole depuis plusieurs années au sein de l’Apli et de SOS Paysans. A défaut de le réconforter, cette expérience lui permet de prendre du recul. « Ils ne m’auront pas, je suis blindé. Je sais très bien que je ne suis qu’un dossier parmi tant d’autres ».

En dépit du travail de prévention mis sur pied, tous les acteurs sont aujourd’hui contraints d’avouer leur impuissance à toucher un public dont la détresse est souvent dissimulée. « Les agriculteurs n’ont pas l’habitude de demander de l’aide. Si on ne va pas à leur rencontre, ils ne viendront pas nous chercher, souligne Bernard Lannes. Au lieu de dépêcher un huissier quand quelqu’un ne paye plus ses cotisations, il vaudrait mieux lui envoyer une assistante sociale ».

Pour Xavier Beulin aussi, il y a des indicateurs qui peuvent alerter. « Quand un agriculteur rencontre une difficulté, dans sa coopérative, auprès de sa banque ou de son assureur, c’est un clignotant qui doit s’allumer ».

Benji

6 Commentaires

  1. L’industriel de la terre est un loup pour le paysan véritable!

    Quand une petite exploitation meurt(confédération paysanne), une grosse(FNSEA) est contente.
    … Elle va s’agrandir et encore produire toujours plus!

  2. ouais ,moi ça me gonfle,les banque sleur font miroiter des profits si il achète tel matos,si tel investissement va leur faire gagner en prod,au final,les gars,ils s’aperçoivent qui doivent toujours plus rembourser de jours en jours

    ces gus des banques,y connaisse quoi au travail de la terre,ils sont incompétents dans leur domaine!dèja

    j’en ai encore eu ce matin au courrier,la preuve de cette réalité d’incapacité.mais on est pas des banquiers,ici!
    on gère une famille,tas d’abrutis notoires!

  3. L’Union européenne autorise la fin de ces contrôles ESB depuis janvier 2013. La France devrait suivre d’ici à la fin de l’année.

    http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/10/10/21364-vache-folle-vers-fin-tests-dans-abattoirs

  4. Ah ! s’ils s’étaient trompés

    on n’aurait plus un député

    • Si les 500 suivants se trompent

      on n’a plus 1 sénateur

      “mieux vaut mourir pour des idées que ne n’en avoir pas eu”
      que l’idée d’en finir…Brassens

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