“Nous ne savons plus ce que nous mangeons”

Un spécialiste du droit de l’environnement pointe “les dysfonctionnements croissants de notre système industriel.”

|| Illustration Couillaud Pascal
(Illustration Couillaud Pascal)

Simon Charbonneau, spécialiste du droit de l’environnement revient sur les scandales alimentaires, sanitaires, industriels récents. Voici sa tribune libre.

“Depuis des années, l’actualité est rythmée par l’annonce d’accidents et de catastrophes dont les conséquences plus ou moins graves sur la nature et la santé humaine illustrent les dysfonctionnements croissants de notre système industriel.

Qu’il s’agisse des risques industriels (Fukushima, AZF, etc.), de risques sanitaires (sang contaminé, Mediator, etc.), alimentaires (OGM, vache folle…) ou financiers (éclatement de bulles, subprimes, etc.), jamais les dispositifs sécuritaires – pourtant inflationnistes – n’ont été autant pris en défaut. Du moins pour les scandales dont on connaît l’émergence médiatique, car on ignore par définition ceux qui sont tenus secrets !

Et, à chaque scandale, on nous explique qu’il nous faut dorénavant améliorer l’efficacité des dispositifs en question pour que de tels événements ne se renouvellent pas. C’est ainsi que, suite à l’affaire de la viande de cheval vendue sous l’appellation viande de bœuf, on envisage d’imposer un étiquetage sur les produits vendus pour améliorer leur traçabilité et que, suite à la catastrophe de Fukushima, des tests de résistance ont été imposés à nos réacteurs nucléaires pour élever le niveau de leur sûreté. Dans notre société technicienne, la réponse ne peut donc être que purement technique, car il ne s’agit pas de réfléchir davantage aux causes profondes de ces accidents, ce qui serait pourtant la seule bonne voie à suivre.

Or, ces réponses techniques ne font la plupart du temps que contribuer à la complexité de notre société, et donc à sa vulnérabilité. En effet, le processus de sophistication croissante se situe tant au niveau technologique – avec le rôle joué en quelques années par la diffusion des technologies informatiques – que sur le plan organisationnel, avec l’imbrication croissante des institutions privées et publiques, nationales et internationales. Si bien que, pour arriver à suivre l’itinéraire d’un produit financier ou alimentaire à travers les multiples échelons intermédiaires qui alimentent l’opacité du système, même les professionnels les plus aguerris ont du mal à s’y retrouver !

Sans compter les processus de changements rapides qui achèvent de rendre obsolètes des réponses qui arrivent trop tard et contribuent à rendre difficiles les contrôles et à égarer un peu plus l’opinion publique. La prolifération de normes de sécurité en changement permanent peut aboutir, par effet de saturation, à l’inverse du but recherché. L’environnement social du citoyen moderne devient alors tellement instable et complexe qu’il rend impossible toute forme de maîtrise, autant intellectuelle que pratique, indispensable à une exigence démocratique.

La vérité est que, en un peu plus de cinquante ans, nous avons édifié un monde qui n’est plus à l’échelle humaine. Il existe un déphasage croissant entre nos capacités cérébrales et la complexité du monde qui nous entoure. Nous sommes obligés de nous en remettre à des experts, qui eux-mêmes ont des connaissances très pointues mais limitées à un champ très étroit.

Nous ne savons plus ce que nous mangeons, ni ce que nous respirons, et sommes obligés de nous en remettre aux conclusions des enquêtes menées par des journalistes parfois aussi ignorants que nous.

Une proposition de loi relative à la protection des lanceurs d’alerte, ces professionnels qui prennent le risque de révéler des informations importantes dans le domaine de la santé publique et de l’environnement mais occultés par l’institution à laquelle ils appartiennent, constituerait un progrès notable dans la transparence.

De même, en matière alimentaire, il nous manque une vraie politique de relocalisation de la production.

Ce qui nous manque d’abord, c’est d’abord la capacité de compréhension globale du monde, ensuite d’être mieux formés dans les domaines les plus importants de la vie physique et sociale.

Il nous manque enfin un grand programme d’éducation populaire permettant à chacun de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons afin de répondre à ses défis.”

Source: sudouest.fr. Merci à Sarah pour le lien.

Benji

4 Commentaires

  1. C’est comme la finance, bien sur qu’il faut que ce soit complexe pour le mouton, comme ça il cherche pas à comprendre.

  2. Ressortir les carcans ♫♫

    Fini de ramper sous les tapis – les moutons vont dorénavant interpeller ceux qui prétendent faire de la politique en exigeant des réponses écrites claires.

    La servitude n’est pas la solution.

    http://www.delaservitudemoderne.org

    Qui est-ce qui commande??

  3. C’est pour cela qu’il faut planter, planter et planter des graines !!!

    Vous saurez d’où ça vient !!!!

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