En 1931, Moody’s conduisait déjà la Grèce au chaos

L’histoire ne fait que se répéter…

Dans le commentaire d’un article sur les agences de notation, une mariannaute rappelle l’épisode historique qui a vu l’agence Moody’s dégrader la note de la Grèce, générant des troubles sociaux et politiques dans le pays avant l’arrivée au pouvoir du général Metaxas, fasciné par les régimes fascistes. Moody’s exprimera ses regrets, annoncera la fin de la notation des dettes publiques avant de ressortir son funeste carnet de notes en 1975.

En 1931, Moody's conduisait déjà la Grèce au chaos
« Lorsque Moody’s a dégradé la Grèce en 1930, une sévère politique d’austérité a été mise en place et a abouti,bien entendu , à une dictature militaire, au point que Moodys a l’époque s’est excusée et a promis de ne plus noter les dettes « souveraines ». Depuis,on a eu la paix ! sauf que la commission européenne en mars 2010 a permis de nouveau à ces agences qui se contentaient de noter les entreprises,…de noter absolument TOUT, sous entendu : les dettes souveraines. Ces agences sont payées à la commande par des banques ou par des fonds de pension étrangers intéressés aux rendements à 2 chiffres. Depuis, PSA, mal notée, a décidé de délocaliser. Depuis,les taux d’intérêt de la Grèce sont passés à 18%, voire 25% à certains moments, ce qui a eu le « mérite » de multiplier la dette d’origine par 4 !!! » écrit Jocelyne Rivoallan en commentaire d’un article de la blogueuse Aliocha intitulé: « AAA: on veut bien s’indigner mais on a pas tout compris  »


C’est l’économiste Jean-Marc Daniel,  qui, le plus récemment, est venu rappeler cet épisode historique méconnu.
En 1909, John Moody, journaliste financier reconverti, crée la notation stricto sensu : sa société jauge les risques en s’appuyant sur une grille de notes, qui permet de résumer les risques pris par le créancier. S & P suit en 1916 et Fitch en 1924. La notation des Etats débute, elle, dès 1918… 

Au début des années 1930, le Trésor américain reproche aux agences de notation de n’avoir pas vu venir les faillites en chaîne des banques et la crise boursière de l’automne 1929. Elles entreprennent dès lors d‘élargir leur champ de compétence à la dette des états. Pendant la Grande Dépression, de nombreux pays européens n’ont pu faire face à leur dette : l’Allemagne, la Grèce, la Hongrie, la Roumanie. Mais les agences de notation ont alors essentiellement dans leur collimateur des pays latino-américains, victimes de la chute des cours des matières premières. Les agences baissent la note du Brésil et de la Bolivie, qui fera défaut en janvier 1931.
A Washington, on reproche alors « aux agences de se concentrer sur la zone américaine et d’ignorer l’Europe » écrit Jean-Marc Daniel. Le doigt sur la couture du pantalon, les agences se penchent sur l’état du vieux continent. Moody’s « repère l’homme malade de l’Europe ». C’est la Grèce qui aura « le triste privilège d’avoir été, dans l’Europe des années 30, la cible régulière des agences de notation, alors dans leur « adolescence ».

Etiqueté libéral de gauche, le premier Ministre Venizélos, un avocat Crétois considéré comme le fondateur de la Grèce moderne. Accusé par l’opposition monarchiste de ruiner l’Etat, il dit distinguer « la bonne dette qui prépare l’avenir de la mauvaise dette qui sert à payer les fonctionnaires ».

Pas assez convaincant pour Moody’s qui dégrade la Grèce. Les taux d’intérêts augmentent. C’est l’escalade. Les exportations de produits agricoles, principales sources de revenu, diminuent. L’autre grande source de capitaux, les envois d’argent des Grecs émigrés, se tarit. Enfin, les prix flambent en Grèce. Venizélos essaie, dans un premier temps, de rester optimiste. Le 25 avril 1931, il supprime la liberté des changes et impose un cours forcé de la drachme. Le 1er mars 1932, il arrête les remboursements des emprunts contractés auprès de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Italie. Les critiques de l’opposition sont de plus en plus virulentes. Pour sauver sa majorité à la chambre lors de législatives qui s’annoncent, Venizélos décide de remettre en place la proportionnelle, qu’il avait critiquée en 1928 en disant qu’elle avait conduit le pays à l’anarchie. Il va aussi jusqu’à limiter la liberté de la presse pour modérer les attaques. Accusé de tendances dictatoriales, son parti est battu. Le retour au pouvoir des monarchistes s’amorce en 1935 avant le coup d’état du général Plastiras. Après une période de désordre, le Roi nommera le général Metaxas ministre de la guerre. S’inspirant des formes autoritaires du régime fasciste italien de Mussolini, il interdit les partis politiques. Il fait arrêter les opposants : près de 15,000 Grecs sont arrêtés et torturés durant les cinq ans de la dictature de Metaxás. Il déclara les grèves illégales et instaura la censure.

Constatant l’étendue des dégâts politiques, Moody’s exprimera ses regrets s’engageant à ne plus noter les dettes publiques des états.

Après guerre, les affaires des agences reprennent, même si elles arrêtent de noter les Etats, qui ne se financent plus guère sur les marchés. La polémique reprend en 1968, quand le maire de New York, furieux de voir sa ville dégradée, fustige S & P et met en cause la faiblesse de ses ressources humaines. Les agences répliquent en changeant de modèle économique : elles adoptent celui d’ “emprunteur-payeur” – l’emprunteur paie désormais l’agence pour l’évaluer -, afin d’affiner leurs analyses. Mais à partir de 1975, le marché des obligations d’Etat repart. Les agences ressortent leurs carnets de notes pour évaluer les Etats, et à susciter la critique. Ainsi, elles ont accordé aux pays d’Amérique du Sud de très bonnes notes au début des années 1980, avant que ceux-ci n’enchaînent les faillites. Paradoxalement, bien que toutes ces « Sœur Anne » de la finance n’auront rien vu venir de la crise de 2008, multipliant les scandales, aggravant la situation des états mis au piquet, la référence aux notes dans les législations financières n’a jamais été aussi importante. Retour vers le futur.

Source: marianne2.fr
Benji

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