L’Egypte paniquée par les gaz utilisés contre les manifestants place Tahrir

L’horreur jusqu’au bout…

Armes chimiques ou simples lacrymogènes ? Les gaz utilisés par les forces de l’ordre provoquent saignements, spasmes et divers troubles. Et mettent l’Egypte en émoi.


Un manifestant inhale un remède contre l’asthm près de la place Tahrir vendredi (Amr Dalsh/Reuters)

(Du Caire) Quel gaz les forces de l’ordre ont-elles utilisé sur la place Tahrir pour disperser les manifestants ? Sur le terrain, de nombreux témoignages, notamment de médecins, décrivent des effets assez terrifiants, comme des troubles neurologiques. « C’est comme si les yeux allaient sortir des orbites », décrit un insurgé gazé, victime de troubles respiratoires et de perte de la vue.

Dans une vidéo postée sur Facebook, on voit une personne à terre secouée de spasmes.

Le site d’information indépendant égyptien Bikyamasr.com dévoile une photo de cartouche tirée par la police et les militaires contenant un gaz lacrymogène très agressif, le « CR » (dibenzoxazepine), décrit comme six à dix fois plus puissant que le gaz lacrymogène « CS » (dichlorobenzal et dérivés), employé en France notamment.

Fumée jaune et fumée blanche

Sur la photo diffusée par le site d’information égyptien, on peut lire que le fabricant est américain, Combined Tactical Systems basé à Jamestown (Pennsylvanie, USA). Mais cette firme ne donne aucune information à la presse. La branche du lacrymogène aime conserver une certaine opacité.

On se souvient de la cargaison française à destination de la Tunisie repérée à Roissy au début des révoltes… La livraison avait toutes les autorisations légales.

La France n’achemine plus ce matériel dans les pays du Maghreb, au Moyen-Orient ou en Afrique depuis qu’on débuté les révoltes du Printemps arabe.

Un contact tenté par La Liberté avec un producteur français de gaz lacrymogène autorisé n’a rien donné.

Un professionnel de la branche actif en France – qui souhaite garder l’anonymat – s’étonne toutefois des effets décrits par les gaz utilisés sur la place Al-Tahrir pense qu’il ne s’agit pas de lacrymogène usuel, ce dernier ne provoquant pas de troubles neurologiques.

Même si, comme le rapporte Bikyamasr.com, il s’agirait de cartouches périmées depuis plusieurs années.

C’est aussi l’avis de spécialistes en Suisse. « Il y a trois sortes de gaz lacrymogènes : le CR, le CS et le CN », explique Hugo Kupferschmidt, directeur du Centre d’information toxicologique basé à Zurich :

« Les cartouches de gaz CR dégagent normalement une fumée jaune, or celles aperçues à la télévision émettaient de la fumée blanche. »

Selon lui, les gaz lacrymogènes usuels, même fortement dosés, ne provoquent pas de troubles neurologiques :

« Les effets décrits me font penser que les cartouches employées contenaient des gaz de type nervins, qui sont de vraies armes chimiques de guerre. […]

Il s’agit peut-être d’un produit semblable à celui utilisé par les forces spéciales russes lors de la prise d’otage du théâtre de la Doubrovka de Moscou du 23 octobre 2002. »

Des tirs de lacrymo à bout portant

L’utilisation de gaz nervins qui peuvent provoquer des lésions aux poumons, cœur et foie, c’est aussi ce qu’a avancé le prix Nobel de la paix Mohammed el-Baradei sur Twitter le 22 novembre. Le candidat déclaré à l’élection présidentielle prévue avant fin juin 2012 en Égypte a dénoncé la violence dont ont fait preuve les forces de l’ordre :

« Du gaz lacrymogène contenant des agents inervants et des balles réelles sont utilisés contre les civils à Tahrir, c’est un massacre. »

Human Rights Watch affirme aussi que des tirs de lacrymogènes effectués à bout portant ont tué des manifestants sur le coup.

Voilà ce qui met l’Egypte en ébullition, en plus d ela contestation du pouvoir militaire et les désillusions à la suite du discours du maréchal Tantaoui. Dans le pays, une forte polémique au sujet de l’emploi de ces gaz prohibés a éclaté. L’armée tente de s’en laver les mains et le ministère de la Santé égyptien dément formellement l’utilisation de tels moyens.

Effets à long terme

Mais ce qui inquiète, c’est que les gens subissent depuis cinq jours les tirs de ces gaz. Quels sont les effets à long terme ? Un professeur en neurologie de l’université Ain-Shams du Caire, contacté par nos soins, a testé les effets sur lui en s’exposant longuement sur la place Tahrir :

« Il provoque plusieurs symptômes tels que des crises convulsives, des spasmes oculaires et une détresse respiratoire. »

Selon ce spécialiste, le type de gaz utilisé est encore indéterminé, mais il est certainement plus corrosif que celui qui a été utilisé par les forces de Moubarak en janvier. Il invite les Egyptiens à collecter le maximum de vidéos et de douilles possible pour d’éventuelles poursuites judiciaires.

Un masque d’hôpital ne suffit pas

Contactée par téléphone, Sibiya a dû fuir son appartement situé à proximité de la rue Mohamed Mahmoud, à côté de l’université américaine du Caire, là où se déroulent les affrontements. « Un masque d’hôpital ne peut pas vous sauver de ce gaz », explique-t-elle :

« Les enfants portant aussi un masque sont très fortement incommodés. Il y a tellement de gaz que les premiers jours, on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres de la maison. Au deuxième jour, nous avons été obligés de quitter l’appartement. »

Elle poursuit :

Et dire que depuis cinq jours, les bombes de gaz pleuvent sur la rue Mohamed-Mahmoud ! Dès les premiers jours nous avons eu des nausées, des maux de têtes. Aujourd’hui, on a les yeux gonflés de sang.

Les petits sont complètement perturbés. Ils sont stressés et agités de tremblements comme s’ils subissaient en continu des crises semblables à l’épilepsie. »

Quant à Salem al-Chirabi, animateur culturel, il ne quitte plus son masque à gaz :

« On panique. On dit que le gaz est cancérigène, qu’on va crever ! Je me suis déjà évanoui. J’ai vu des amis faire des crises. Certains accusent le gouvernement égyptien d’utiliser des armes chimiques contre nous.

Aujourd’hui il y a plus de 400 personnes dans un état grave. La police a même balancé des gaz dans les bouches d’aérations du métro de la place Al-Tahrir pour nous intoxiquer. »

« J’ai perdu conscience et puis vomi du sang »

Magda, une étudiante de 23 ans, a également été prise au piège dans un nuage de gaz lacrymogène. « Je suis tombée comme une mouche », déclare-t-elle au bout du fil.

« Des gens m’ont évacuée sur une moto. J’ai été aspergée par un liquide et j’ai repris conscience difficilement, comme si je venais de sortir d’une narcose complète. J’ai vomi du sang.

Oui, le maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées, nous fait vomir du sang. Alors moi, j’ai décidé de mourir sur la place Al-Tahrir pour libérer le pays de la junte militaire. »

Autre cas encore, Rania, membre du comité révolutionnaire. « L’air est irrespirable sur la place Tahrir », peste-t-elle au téléphone :

« Il y a cette odeur de gaz qui est si forte qu’il est impossible de rester sur place plus de cinq minutes. Les gens sont tous munis de masques achetés sur place 2 euros ou offerts par des infirmiers sur la place Al-Tahrir.

Mais même avec un masque, on suffoque à cause du gaz. »

Autre malheur : l’acte II de cette révolution a fait beaucoup de blessés aux yeux, dont beaucoup sont devenus borgnes. Rania :

« Ils n’en sont pas pour autant démoralisés et affirment qu’ils ont perdu un œil mais pas la vision sur le futur de l’Egypte qui se débarrassera coûte que coûte de la junte militaire. »

Source: rue89.com

Benji

4 Commentaires

  1. L’Egypte un nouveau terrain d’expériences pour les Draculas du nouvel ordre mondial ?

  2. Je n’ai pas réussi à trouver grand chose sur le produit utilisé. Le gaz nervin est, cependant, qualifié de gaz mortel dans un journal de la police cantonale genevoise. L’article relate un exercice de simulation d’attaque terroriste.
    http://www.ge.ch/police/doc/publications/mosaique1.pdf
    Extrait:
    “Le 6 novembre dernier, à 06h00, un individu abandonnait
    une bouteille de type thermos dans une poubelle proche
    des guichets d’enregistrement de la halle charters de
    l’aéroport international de Genève. Sitôt après, cinq
    personnes se plaignaient de douleurs
    et trois d’entre elles s’effondraient,
    mortes, en quelques minutes.(…)
    Le thermos ouvert contenait un
    gaz de combat de type nervin,
    dont l’utilisation terroriste ne
    faisait plus aucun doute après la fuite
    de l’individu. Tel a été le scénario de
    l’exercice CAPITO 02 destiné à tester
    divers objectifs du plan catastrophe
    ISIS (Intervention, Secours et
    Information lors de Sinistre) qui a été
    joué en temps réel devant un parterre
    d’une soixantaine de diplomates
    étrangers, spécialement venus à
    Genève pour un séminaire des signataires
    de la convention pour l’interdiction
    des armes chimiques.”

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